La Papesse Jeanne a-telle existé ?

 

A quelques variantes près, les différents scénarios tournent autour des mêmes éléments. Au 9e siècle, une jeune Allemande, Jeanne, prend l’habit d’homme pour suivre son amant, qui s’est fait moine. Dissimulée sous l’austère robe monacale, la jeune femme étudie d’abord en Angleterre puis en Grèce et partout en Europe, auprès des meilleurs maîtres. Studieuse, intelligente, elle trompe son monde et progresse sur la voie du savoir et de l’érudition. Sa réputation grandissante l’amène à Rome où elle devient secrétaire d’un cardinal, puis du Pape lui-même. Aussi myope que les autres, ce dernier la fait cardinal.

Avant 1059, personne ne sait vraiment comment se passait l’élection. Les papes pouvaient être des laïcs, des hommes de guerre ou…des enfants, en fonction des intrigues et des intérêts politiques croisés. La légende profite de ce flou, assurant que Jeanne, toujours déguisée en homme, serait alors élue en juillet 877 sous les acclamations de la foule avant de régner deux années pleines.

Elle se serait subitement trahie en… accouchant en pleine procession d’un bébé de Pape, au beau milieu des rues de Rome. L’histoire a plusieurs fins : selon les chroniqueurs : Jeanne est lapidée par la foule, trainée par un cheval puis enterrée à l’endroit même où elle rend l’âme, meurt en couche  – ou expédiée au fin fond d’un couvent.  Autant de fins édifiantes et… complètement fausses, comme toute l’histoire d’ailleurs.

Toute l’histoire part d’un chroniqueur français du XIIIe siècle, le dominicain Jean de Mailly qui en fait une brève mention en commençant d’ailleurs par préciser que l’histoire lui semble bien douteuse. Il mentionne pourtant une source : sur une pierre gravée, dressée sur le site même de l’accouchement de la papesse,  aurait figuré six fois la lettre P, pour « Pierre, Père des Pères, publie la Parturition de la Papesse », autrement dit : la Papesse a accouché, l’Eglise l’atteste. Seul problème, l’interprétation des abréviations latines – l’épigraphie – offre une foule d’autres possibilités et la tendance à jouer sur une série de lettres identiques est fréquente.

Quelques années plus tard, un certain  Martin Polonus publie son Chronicon Pontificum, une Histoire des Pontifes particulièrement claire et qui pour cette raison, va être un grand succès de librairie, si on ose dire. Y figure bel et bien la mention d’une papesse. Copié, recopié, diffusé dans tout l’Occident, le Chronicon fait passer la légende dans la culture ecclésiastique et populaire. L’existence de la papesse devient un fait acquis, à la manière de celle d’un Guillaume Tell, autre personnage aussi légendaire que parfaitement fictif. Son histoire ressurgit régulièrement : Boccace la cite dans son livre « Des Dames de renom », Pétrarque et Jacques de Voragine également, les théologiens en débattent, le peuple s’en amuse… Pendant plusieurs siècles, personne ne contestera l’existence de cette femme devenue Pape.

Pire, au moment de la Réforme protestante, calvinistes et luthériens en feront un large usage pour discréditer l’Eglise de Rome à coups de pamphlets moqueurs – bien aidés par le silence longtemps gêné des autorités vaticanes. La papesse sera mise à toutes les sauces : elle est un argument de propagande rêvé  pour affaiblir l’autorité de Rome. Si le Vatican peut se faire avoir par une femme, cet instrument du Diable, comment peut-il parler au nom de Dieu ? Les anglicans feront très fort, avec la publication en 1687 d’une biographie extrêmement augmentée et extrêmement fantaisiste de la Papesse : « L’Histoire de la papesse Jeanne et des putains de Rome ». Il faudra tous les efforts de meilleurs juristes et théologiens catholiques, aux siècles suivants, pour enfin prouver qu’aucune papesse n’a jamais fichu les pieds au Vatican.

Si aucun historien sérieux n’accorde plus le moindre crédit à cette histoire depuis lurette, quelques rares acharnés pensent encore que Jeanne a réellement existé.

L’origine la plus probable de la légende est pourtant plus prosaïque : le pape Jean XII, mort en 964, était réputé pour être un cavaleur de première, plus dévoué au beau sexe qu’à son pontificat au point qu’on prétend qu’il est mort battu par un mari jaloux… Ses ennemis se firent une joie de prétendre qu’il était entièrement soumis à sa maitresse – Jeanne. Et commencèrent par traiter le pape lui-même de papesse, dénonçant sa faiblesse et sa couardise.

La Papesse a eu une belle descendance dans la culture populaire. Elle surgit sur les anciens jeux de tarots dont l’une des lames porte son nom. Elle figure d’ailleurs toujours dans la version marseillaise du jeu. Je passerai pudiquement sur une certaine confiture de figues de Provence, baptisées du doux nom de c…lles du Pape depuis le 14e siècle. Une référence de plus à la fameuse légende…

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