De l’importance des réseaux sociaux…

La sonde Philae, «à mille milles de toute terre habitée», nous a retracé son épopée sur Twitter, par des messages de 140 signes. Une preuve éclatante, dix ans après leur apparition, du développement des réseaux sociaux. Une récente étude (Médiamétrie) sur la place qu’ils ont prise dans notre vie le confirme. 70 % de ceux qui y sont inscrits (26 millions de Français sont sur Facebook) les consultent régulièrement, c’est-à-dire au moins une fois par jour. Facebook reste le premier, loin devant Twitter et Google +. L’étude ne dit pas si, riches de tant d’amis et de followers, nous sommes devenus plus sociables, si nos vies quotidiennes profitent d’un supplément de courtoisie et de délicatesse. Elle confirme cependant que le séisme numérique a eu lieu.

En politique, les conséquences sont à la fois minuscules et gigantesques. Minuscules parce que l’information continue, pour satisfaire sa boulimie, dévore les messages les plus dérisoires. Ainsi Nadine Morano qui croise une femme voilée sur la plage nous fait part de son irritation, et Cécile Duflot nous présente en exclusivité le chili con carne (bio) qu’elle est en train de cuisiner. Nous savons tout de la moindre réunion de canton et, heureux hommes, nous avons accès aux selfies du maire de Champignac à la fête de l’espadrille.
Gigantesque si l’on évalue le poids de ces réseaux dans le quinquennat Hollande. Pour lui, tout a commencé par un tweet. Celui qui révélait l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn. Le futur président pouvait sourire comme le plus beau smiley. Ça n’a pas duré. Un mois après son élection, Ségolène Royal et Valérie Trierweiler s’affrontaient en 140 signes et la présidence normale devenait un captivant vaudeville animé avec rage, sur les réseaux sociaux, par l’un des personnages. Grâce à Twitter, l’expression «sans-dents» a traversé le pays en quelques heures et la dernière émission de François Hollande a donné lieu, sur ce même réseau, à un jeu de massacre.

Twitter et Facebook ont participé aussi à l’émergence des grands mouvements sociaux de ce début de quinquennat. Si les structures solides, organisées (syndicats, partis), ont été impuissantes à constituer une manifestation d’ampleur, La Manif pour tous, les «pigeons», les «bonnets rouges» n’auraient jamais eu cette importance sans Internet. Le plus souvent, les politiques, concentrés sur les médias traditionnels, n’ont rien vu venir. En deux ans, des courants profonds qui traversent la société française (jusqu’à l’alarmant phénomène Dieudonné) sont tombés en cascade devant nos yeux ébahis.

La réplique médiatique n’est pas moins importante. La semaine précédente le restera, pour la société de l’information, comme celle où les aveux, les démentis, les confidences de Nabilla ont devancé, dans le traitement et en audience, les aveux, les démentis, les confidences d’un secrétaire général de l’Élysée et d’un ancien premier ministre. Les réseaux sociaux sont la cause principale de cette inversion hiérarchique. L’information n’est plus «descendante» mais s’établit de plus en plus selon un référendum permanent qui, par le nombre de «like» ou par le succès d’un «hashtag», décide ce qui ouvrira le prochain journal. Une forme compulsive, frénétique de démocratie participative fait défiler les sujets – guerre en Ukraine, canular de Nicolas Bedos, blessure de Zlatan, égorgement d’Hervé Gourdel – sans distinguer l’essentiel de l’accessoire. Dans ce monde «technico-anarcho-libertaire» (Hubert Védrine), il n’y a plus de verticalité et le café du commerce est aussi grouillant et anonyme que les galeries d’un immense mall.

Alain Finkielkraut, dans un savoureux article, s’est rêvé en François Hollande lançant un vibrant: «Vive la France! À bas les réseaux sociaux.» La réalité est qu’ils continueront, malgré tout, à informer tout le monde, tout de suite, tout le temps. Faut-il s’en effrayer? «Il me semble qu’ils confondent but et moyen, ceux qui s’effraient par trop de nos progrès techniques, écrit Antoine de Saint-Exupéry dans Terre des hommes. La machine n’est pas un but. L’avion n’est pas un but: c’est un outil. Un outil comme la charrue.» Facebook et Twitter sont de fascinants outils sociaux, politiques et médiatiques. Parviendrons-nous à les dominer? «Nous sommes tous de jeunes barbares, poursuivait l’aviateur, que nos jouets neufs émerveillent encore.»

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