Impression, soleil levant est devenue la toile emblématique de l’impressionnisme. Cela est assez récent. Pendant des décennies, elle n’était qu’une toile parmi d’autres, pas la mieux cotée. Son titre hésitait entre soleil levant et couchant ! Elle fut exposée lors de la première exposition du groupe, il y a cent quarante ans. Le musée Marmottan-Monet fêtant ses 80 ans, il a paru intéressant de situer l’œuvre dans son contexte et de suivre son parcours à l’occasion de ce double anniversaire.
La toile est signée, et datée de 1872. Daniel Wildenstein, rédacteur de l’œuvre complet, estimait qu’elle avait été peinte en 1873. Une incertitude de plus. La question a été traitée scientifiquement. Avec ce que l’on sait du port du Havre à l’époque ; de la météo ; des marées ; de la position du soleil, il a été possible de déterminer la date probable d’exécution. Monet a peint la vue qu’il avait de sa chambre en regardant vers l’est, vers 7 heures du matin le 13 novembre 1872.
Il ne manquera pas d’experts pour estimer qu’elle a plutôt été peinte le tant ou le tant, à telle ou telle heure. Peu importe. Qu’on admette ou non cette date, le chef-d’œuvre est là. Peint en une séance, vraisemblablement, avec la volonté de l’artiste de saisir l’impression d’un moment lumineux particulier.
Comme souvent en art, sinon toujours, cette toile a une filiation. Elle a des aïeux et des descendants, et des contemporains. D’autres toiles, que l’artiste a connues, et d’autres encore qu’il n’a jamais vues mais dont les gènes se retrouvent dans la sienne. Question d’époque, de courants. Ainsi, dans les années 1860-1870, les aubes et les crépuscules sur les eaux, les effets de lune sont des sujets d’études répétées chez Jongkind et Boudin. Deux peintres féconds, dont on voit un choix restreint et heureux d’œuvres fort belles. Particulièrement un Clair de lune sur un canal, Hollande (peint par Jongkind en 1866, musée d’Aix-les-Bains). Une grosse lune jaune se hisse derrière un moulin… comme un gros soleil rouge se lève au milieu des mâtures dans la toile de Monet.
Jongkind, Boudin : deux maîtres de Monet. Il n’est pas étonnant de les trouver en amont de sa fameuse toile. On peut remonter aux années 1850, à la célèbre aquarelle peinte par Delacroix lors d’un séjour à Dieppe.
Expositions et collections
Impression, soleil levant figure à la première exposition du groupe impressionniste (1874) qui prit ce nom malgré lui et grâce à cette toile. Le collectionneur Ernest Hoschedé acheta le tableau. Il avait déjà des Monet et en acheta d’autres. En 1878, sa collection fut dispersée aux enchères. Le tableau fut vendu très peu cher, 210 francs, et sous un titre qui allait le suivre quelque temps : Impression, soleil couchant. L’acheteur était le collectionneur Georges de Bellio. C’est grâce à la fille de celui-ci que le tableau sortira peu à peu de l’ombre et sera légué au musée Marmottan-Monet.
La troisième partie de l’exposition est consacrée à ces collectionneurs, avec quelques-uns des tableaux qui accompagnaient l’Impression. Pas des moindres : Le pont de l’Europe, La rue Montorgueil. De beaux effets de neige : Le train dans la neige, et ce tableau dont je ne me lasse pas, L’effet de neige, soleil couchant de 1875.
En 2011, un différend avait éclaté entre le directeur du musée d’Orsay, Guy Cogeval, et le musée Marmottan-Monet, au sujet d’Impression, soleil levant. Le petit musée avait refusé de le prêter au plus gros (cf. notre chronique du 29 janvier 2011). Guy Cogeval avait alors qualifié le musée Marmottan-Monet de « musée provincial ». Orgueil déplacé. Depuis quelques années, les expositions de Marmottan sont plus intéressantes et mieux ficelées que celles d’Orsay. Pleinement artistiques et non idéologiques. « L’histoire vraie du chef-d’œuvre de Claude Monet » est d’une qualité remarquable.
• Impression. L’histoire vraie du chef-d’œuvre de Claude Monet. Jusqu’au 18 janvier 2015, musée Marmottan-Monet.
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