C’est assez rare pour être mentionné : Laurent Cassiau-Haurie est un commandant de police qui parle à visage découvert et assume de sortir de son devoir de réserve. Suspendu de ses fonctions, il étrille sa hiérarchie dans un livre coup de poing.
«Que vous mettiez Pierre, Paul ou Jacques au ministère de l’Intérieur, ça ne changera pas grand chose», lâche, désabusé, Laurent Cassiau-Haurie lorsqu’on lui demande ce qu’il pense du remaniement ministériel. Se gardant bien de tout propos politique, ce commandant de police suspendu de ses fonctions a décidé de parler pour se faire l’écho de toutes les difficultés que peuvent rencontrer les membres des forces de l’ordre à l’heure actuelle.
Après un parcours exemplaire d’enquêteur qui l’a mené de l’antiterrorisme en Corse, jusqu’à Bordeaux pour diriger l’unité de lutte contre l’économie souterraine, en passant par la brigade des «stups» dans les banlieues chaudes franciliennes, l’homme est consterné : il y a trois ans, on l’a mis au placard pour une simple affaire d’incompatibilité humaine. Il connaît alors l’enfer professionnel de l’officier à qui on ne confie plus rien de significatif.
Cette expérience l’a poussé très loin dans le désespoir et, confronté au silence de sa hiérarchie, il a frôlé le pire : «Il aurait pu y avoir un suicide […], j’étais à la rue, psychologiquement. Vous vous rendez compte que je suis passé d’une brigade où l’on gère 30 écoutes téléphoniques avec des saisies de drogue […] à rien. Je suis passé à rien. Si j’avais eu un problème à l’époque comme une instance de divorce ou un enfant malade, j’aurais peut-être commis le geste irréparable.»
Alors, comme une bouée de sauvetage, le commandant de police qui aimait son travail d’enquêteur a écrit un livre coup de poing où il a tout balancé. Il l’a sobrement intitulé La police m’a tué. Pour cette raison, il est aujourd’hui suspendu après avoir failli à son devoir de réserve en tant que fonctionnaire de police. Il s’est également engagé et a rejoint l’association de policiers en colère l’UPNI dont il est devenu porte-parole.
Je suis passé d’une brigade où l’on gère 30 écoutes téléphoniques à rien : je suis passé à rien.
Au-delà du règlement de compte, Laurent Cassiau-Haurie a également quelques préconisations à faire valoir et plaide notamment pour introduire plus d’humanisme dans la froideur administrative qui a selon lui envahi la maison police. Il a un message pour sa hiérarchie, jusqu’au ministre de l’Intérieur : «Au lieu d’envoyer les fonctionnaires en stage [de prévention des risques psycho-sociaux], occupez-vous des problèmes au sein de vos services et surtout n’en créez pas. Ce n’est pas de l’administratif, ça ; c’est de l’humain.»
Le nouveau ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, son bras droit Laurent Nunez et les arcanes de la hiérarchie policière entendront-ils ce cri d’alarme ? En tout état de cause, il y a urgence : malgré le service de soutien psychologique opérationnel de la police nationale, 51 policiers ont mis fin à leurs jours en 2017 et 24 de plus ont fait de même en 2018, c’est 36% de plus que dans les autres catégories professionnelles en France.