Tribune libre de Jean-Yves Naudet*
C’est le dessinateur du journal Le Monde, Plantu, qui reprend ainsi la phrase d’une interview donnée à son journal par le ministre de l’économie, Pierre Moscovici. « Phrase légendaire », dit Plantu, dont le dessin représente un public de chômeurs devant des usines fermées.
Plantu serait-il devenu anti-keynésien ? Toujours est-il qu’il a le mérite de souligner l’essentiel du débat actuel sur le chômage. Car si tout le monde a commenté le « choc fiscal », auquel personne n’échappera, bien supérieur aux modestes baisses de dépenses publiques, peu nombreux (en dehors de notre équipe de libéraux) sont ceux qui ont prêté attention à la doctrine keynésienne qui sous-tend le projet de budget soumis au Parlement.
« La dette est l’ennemie de l’économie ». Mais qui a créé la dette ?
Bien évidemment le point de départ de notre ministre est réaliste : il faut réduire les déficits publics avec « une dette qui dépasse les 90% du PIB, seuil qui pénalise durablement la croissance ». Pour un socialiste keynésien, reconnaître que la dette, donc les déficits qui l’ont constituée, pénalise la croissance est un effort méritoire, voire une abjuration. Pourquoi les ancêtres de M. Moscovici, une fois parvenus au pouvoir en 1981, ont-ils alourdi les déficits et laissé dériver la dette ? Il est plus facile pour le ministre de l’économie de mettre tout au passif du quinquennat Sarkozy, qui s’est traduit il est vrai par un accroissement de 600 milliards de la dette française.
Lorsque le ministre indique que le gouvernement doit redresser les finances publiques, le journaliste du Monde, qui connaît son catéchisme keynésien sur le bout des doigts, lui demande « au risque d’une récession ? ». Réponse de P. Moscovici : « La dette est l’ennemie de l’économie, des services publics (sic !), de notre souveraineté nationale. Pierre Bérégovoy parlait jadis de la désinflation compétitive, je veux parler du désendettement compétitif ». Belle conversion soudaine à l’orthodoxie budgétaire. « Un euro de plus pour le service de la dette, c’est un euro de moins pour l’éducation, pour l’hôpital ou pour la sécurité ». Là, les choses se gâtent : si le gouvernement veut diminuer dette et intérêts, c’est pour pouvoir augmenter les dépenses publiques. Comme si ce n’était pas la dérive des dépenses qui avait fait exploser la dette.
Les pays qui ont fait du « laisser-aller budgétaire » se sont « pieds et poings liés retrouvés entre les mains des marchés ». Il faut donc éviter de tomber dans les mains des méchants marchés, qui font payer plus cher les pays les moins solvables en augmentant le taux d’intérêt (prime de risque). Mais qui est coupable ? Le marché, qui vient financer les pays imprudemment en déficit excessif et leur évite la banqueroute, ou les gouvernements qui ont mis le pays dans cette situation ?
Les coupes budgétaires sont « récessives »
Donc, voici le nouvel objectif : retour aux 3% du traité de Maastricht, sorte de mini règle d’or que les Etats se sont empressés de ne pas respecter. Comment revenir en 2013 aux 3% de déficit ? Par une hausse, que le ministre reconnait être considérable, de 20 milliards des impôts. Ne chipotons pas sur les chiffres, car le ministre oublie les hausses déjà votées lors du collectif budgétaire ; en tous cas le choc fiscal est sans précédent. Pourquoi augmenter les impôts au lieu de diminuer les dépenses ? Réponse du ministre « Les coupes budgétaires ayant un impact plus récessif que les hausses d’impôts, nous avons fait cette année tout ce qui était possible et nécessaire ».
S’agit-il d’une nouvelle loi économique ? Si notre ministre affirme que diminuer les dépenses est « plus récessif » que les hausses d’impôts, c’est qu’il croit que toute dépense publique a un effet de relance : il revient ainsi au keynésianisme le plus pur. La dépense publique serait-elle aujourd’hui un moteur de la croissance ? On observe que jamais les dépenses publiques n’ont été aussi élevées, et que jamais on a connu une stagnation aussi durable. Ce ne sont pas les « mesures d’austérité » qui prolongent la crise, contrairement à ce que soutiennent Messieurs Mélenchon et Thibaut. Et Monsieur Moscovici se trompe en voyant dans la réduction des dépenses publiques une politique « récessive ».
« Revenons à Keynes »
Par contraste, aux yeux du Ministre, l’augmentation des impôts serait moins récessive. Or, il est démontré et prouvé que les hausses d’impôts ont un effet négatif sur l’offre : elles poussent à travailler ou entreprendre moins, elles font fuir les plus productifs à l’étranger. En effet les gens n’aiment pas travailler pour qu’on leur reprenne l’essentiel de ce qu’ils ont légitimement gagné. Réaction bien humaine.
Les hausses d’impôts freinant ainsi la croissance, elles entraînent la stagnation des revenus et des transactions, donc les rentrées fiscales diminuent : les taux d’imposition ont augmenté, mais la base fiscale à laquelle ils s’appliquent s’est réduite. Donc les déficits se creusent encore davantage, et la dette avec.
Monsieur Ayrault et son gouvernement s’en sortent avec un gros mensonge, qui consiste à affirmer que neuf contribuables sur dix seront gagnants ou épargnés parce que la réforme accroît la progressivité : à elle seule, la non indexation du barème pénalise pratiquement tous ceux qui paient l’impôt sur le revenu.
« Nous faisons contribuer davantage les grandes entreprises dont le taux d’imposition effectif est de dix points inférieur à celui des PME. Revenons à Keynes : ce qui fait qu’une entreprise investit, ce ne sont pas uniquement ses marges ou ses avantages fiscaux, c’est d’abord ses marchés, ses clients ». Monsieur Moscovici pense-t-il qu’en réduisant les marges des entreprises françaises, on pourra investir et satisfaire les clients français ? A l’heure du « patriotisme économique », il serait bon de rappeler que les grands gagnants de l’affaire seront les fournisseurs étrangers, moins chargés en impôts et cotisations que les entrepreneurs français.
La hausse des impôts est le plus court chemin vers la récession
Attention : « Nous ne versons pas dans un keynésianisme archaïque, mais notre politique marche sur ses deux pieds. Elle veut conforter l’offre et la demande. Keynes disait à juste titre que la demande précède l’offre ». Ainsi, au commencement était la demande ; en revanche, rien sur l’entrepreneur qui anticipe les besoins des clients et créé ce qui n’existait pas encore. Donc la politique du gouvernement s’appuie sur l’offre et la demande : elle marche sur deux jambes, mais l’une est nettement plus longue que l’autre ! A voir les taux d’imposition exploser, à voir se multiplier les réglementations, contraintes, interventions sur les prix ou dans les entreprises, on a du mal à percevoir une politique de l’offre. C’est donc une fausse fenêtre : c’est la demande, artificielle, qui ouvre le bal. L’offre n’a qu’à suivre.
Laissons nos confrères détailler les bons et les mauvais impôts, les vraies et les fausses réductions de dépenses ; l’essentiel est ailleurs. Le gouvernement, contraint de réduire les déficits, ne touche pas aux dépenses publiques (« moteurs de la croissance ») ; d’où les hausses d’impôts. N’en déplaise aux tenants des politiques keynésiennes qui ont fait la preuve de leur insanité et de leur échec, le projet de budget nous amène à une certitude : 2013 sera pire que 2012.
*Jean-Yves Naudet est un économiste français. Il enseigne à la faculté de droit de l’Université Aix-Marseille III, dont il a été vice-président. Il travaille principalement sur les sujets liés à l’éthique économique.
> Cet article est publié en partenariat avec l’ALEPS.
2 Comments
Comments are closed.