Vous vous souvenez sans doute de cet imposteur qui fit croire à tout un village du Centre qu’il était un entrepreneur en BTP, et qu’il allait leur faire passer l’autoroute appelée de leurs voeux : études, travaux, tout fut mis en branle jusqu’à ce que la supercherie soit démasquée. Xavier Giannoli s’en était largement inspiré pour son film À l’origine, avec François Cluzet. Dans ce cas-là, tout le monde avait cru un homme qui fit semblant d’y croire. Parce qu’il est important de croire à quelque chose, Dieu, la fraternité, Lionel Messi… même si c’est une illusion. Tel est du moins le credo de Giannoli.
Dans Marguerite, il renverse l’argument. Cette Castafiore est la seule à croire, malgré sa cascade de fausses notes qu’elle n’entend pas, qu’elle a un talent vocal, alors que tous les autres évidemment n’y croient pas, mais font semblant d’y croire. Cette fois, ce sont tous les autres qui sont des imposteurs, la pauvrette étant la seule à faire preuve de sincérité. Mais le pacte tient, le malentendu aussi (par lequel marche le monde, écrivait Baudelaire), le quiproquo, et à peine croyable, tout l’entourage perpétue la mascarade.
N’importe quoi, direz-vous ! Allez donc regarder du côté de Florence Foster Jenkins, le modèle de Marguerite et de Catherine Frot qui, avec sa performance bouleversante de dindon de la farce ingénu, met déjà une option sur les Césars 2016. Giannoli a eu la bonne idée de transposer toute l’histoire dans le Paris des années 1920 où perce le dadaïsme, entiché de ces beautés cassées, tordues et dissonantes, qui fleurirent sur les décombres de la barbarie de la Première Guerre mondiale.
L’autopersuasion est un phénomène fascinant. Est-ce un hasard si le premier prénom de Florence Foster Jenkins était Narcissas ? Signe qu’il ne faut pas contrarier la vocation de ses enfants, Jenkins eut des parents qui ne voulurent pas la laisser chanter. Il y eut bien sûr au cours de sa “carrière” – des concerts privés – des rires, des moqueries. En toute bonne logique, elle les attribua à la jalousie. Le reste de son public l’applaudissait avec bienveillance et amour, amusé par cette différence.
L’anecdote la plus révélatrice de sa passion authentique est cette histoire du taxi : ayant échappé de peu à un accident très grave, elle envoya une boîte de cigares au chauffeur, car la collision lui avait permis de crier et d’attraper, involontairement, une note encore plus aiguë. Comment dire mieux qu’elle mettait la musique au-dessus de sa vie, à la recherche perpétuelle de la perfection, malgré tout ?
Son premier concert public fut aussi le dernier. Carnegie Hall : 25 octobre 1944. pendant que les GI’s libéraient l’Europe du nazisme, Jenkins libéra devant un vrai public de connaisseurs sa rafale de fausses notes. Le miroir se brisa. Les critiques l’éreintèrent. Deux jours plus tard, elle fit un arrêt cardiaque dans… un magasin de musique. On dit que Hergé s’en inspira pour la Castafiore. Une chose est sûre, il a permis à Giannoli d’être à la baguette d’un des plus beaux films français de l’année, drôle et émouvant à la fois, baroque et délirant, une splendeur de cinéma qui transcende un merveilleux personnage.