Yassin Salhi, l’assassin de Saint-Quentin-Fallavier, aurait agi « dans un mouvement de vengeance personnelle ». Cette phrase est apparue subitement hier sur les sites de RTL, TF1, du Figaro, etc.
RTL explique : « [La] tête avait été accrochée au grillage d’enceinte entre deux drapeaux islamistes… À l’époque, la piste terroriste ne semblait faire aucun doute. Le suspect, Yassin Salhi, arrêté dans la foulée, était connu des services de renseignement pour ses liens avec la mouvance salafiste. »
« À l’époque… », mais on s’était trompé. On avait tiré des conclusions hâtives. « Son geste était celui d’un timoré, d’un employé solitaire, susceptible et peu assuré, qui a accumulé les tensions et se sent humilié par ses supérieurs », explique le récent rapport d’un expert-psychiatre que l’on vient de livrer à la presse. Tout cela était à mettre sur le compte d’une « explosivité émotionnelle ».
Les tensions, la sensation d’être humilié, parfois, cela vous fait décapiter votre patron. Et même accrocher sa tête entre deux drapeaux islamistes, quand il vous a vraiment agacé. On devrait creuser un peu plus ces choses-là, au cours des entretiens d’embauche : « Et émotionnellement, vous êtes plutôt du genre explosif ? »
Le rapport a raison, le monsieur était sans doute susceptible. Mais pour quelqu’un de timoré et de peu assuré, il tenait assez fermement le couteau.
Quant aux « motivations terroristes », RTL nous dit que l’expert-psychiatre reste « très prudent », concédant que « le crime s’inspire de la martyrologe radicale islamiste », mais ajoutant que le choix de la décapitation est en fait « destiné à marquer les esprits ».
Voilà. Tout est bien qui finit bien. Toutes les craintes se dissipent : ce n’était pas du terrorisme, mais du burnout. Un peu de Supradyn et ça repart. Sauf pour Hervé Cornara, évidemment.
Et quant à nous, il nous faudra quand même un graaaand verre d’eau pour avaler une si groooosse pilule. Qu’aurait-il fallu, en sus des drapeaux islamistes, des accointances salafistes, du « Allah Akbar » lancé aux pompiers et du selfie envoyé en Syrie pour prouver le caractère terroriste : une carte d’adhérent à Daech à jour de cotisation ?
Parce que ces actes sont individuels, il suffirait de trouver des éléments d’explication individuels pour éviter de les additionner entre eux : papa parti, maman dépassée, patron sévère, mauvais amis… Mais les facteurs psychologiques ne changent rien à la nature de l’acte. Peut-être, comme l’imagine Dino Buzzati dans sa nouvelle Povero Bambino!, Hitler est-il devenu ce que l’on sait parce que ses camarades l’appelaient « la laitue » et parce que sa mère ne l’aimait pas. Ses crimes n’en ont été pas moins commis au nom du nazisme.
Ce rapport, largement médiatisé, tombe à pic. À pic pour le gouvernement. À pic pour Yassin Salhi qui a adopté cette ligne de défense depuis le début, « contestant toute religiosité dans son passage à l’acte », et même « ne s’expliquant pas » que la tête de sa victime ait été retrouvée sur un grillage, avec deux drapeaux frappés de la « Chehada ». On ne saurait trop conseiller à Ayoub El-Khazzani, l’homme du Thalys, d’insister sur le peu d’aménité des contrôleurs à son endroit ou sur les valises encombrant péniblement le couloir ce jour-là, sans lesquels ils n’auraient jamais été, sa kalachnikov et lui, sujets à une telle « explosivité émotionnelle »…
Gabrielle Cluzel – Boulevard Voltaire