Depuis septembre 2018, les Américains ont entrepris de négocier la paix en Afghanistan avec leur principal adversaire : les talibans. Plusieurs rencontres se sont déroulées à Doha, la dernière le 5 août. D’« excellents progrès » ont été salués par les deux parties. La principale pierre d’achoppement porte sur la date du retrait américain. De plus, le retrait doit-il être total ou une petite force d’élite est-elle appelée à rester ? Les discussions restent vives sur le sujet.
Les observateurs avaient été surpris, lors de l’annonce de ces futures discussions à la fin de l’été dernier. Car les deux protagonistes s’étaient longuement et durement affrontés durant de longues années.
L’armée américaine avait envahi l’Afghanistan fin 2001, en réaction aux attentats du 11 septembre. Les talibans, qui étaient au pouvoir depuis 1996, n’avaient rien à voir avec les attentats en question, mais ils abritaient Oussama ben Laden et c’était donc l’occasion de l’éliminer. Après une première victoire facile, les Américains prirent une décision lourde de conséquence : le roi Mohammed Zaher Chah, revenu de son exil italien, se proposait de régner à nouveau, mais Washington s’y opposa car son objectif était d’instaurer une démocratie à l’occidentale. Le roi était pourtant le seul à pouvoir réconcilier les différents partis afghans. Décidément, cette obsession d’imposer la démocratie occidentale à des pays qui n’en veulent pas aura coûté cher.
Depuis, l’Afghanistan s’est enfoncé dans une interminable guerre civile opposant les talibans au régime d’Hamid Karzai, soutenu à bout de bras par les Américains, et totalement déconsidéré dans le pays.
Malgré une armada surarmée de plus de 100.000 hommes, jamais l’OTAN, en charge des opérations militaires, n’a réussi à vaincre les talibans. Plus de 2.000 Américains et 88 Français mourront au combat ou accidentellement.
Alors, pourquoi, aujourd’hui, lâcher Karzai et donner le pouvoir à l’implacable ennemi islamiste taliban ?
Pour deux raisons : tout d’abord, Trump veut tenir une de ses promesses concernant le retrait de l’armée américaine d’Afghanistan. Or, si elle se retire en laissant Karzai en place, l’armée afghane ne se battra que pour la forme et le régime sera balayé dans le sang en quelques semaines. Les Américains le savent bien et cela en dit long sur ces 18 années d’intervention stérile.
La deuxième raison est plus impérieuse encore : l’État islamique s’est implanté en Afghanistan et s’y développe dangereusement. Plusieurs centaines de combattants y ont trouvé refuge en quittant la Syrie et le nom de ce mouvement fait toujours rêver dans le monde sunnite.
À tout prendre, les Américains préfèrent organiser une passation avec le moins nocif des deux mouvements islamistes…
Tout de même, quel immense gâchis pour une nouvelle défaite américaine ; il y en a décidément beaucoup, depuis 1945.
Quant à nous, Français, nous pensons à nos 88 compatriotes morts en combattant un ennemi à qui le pouvoir est gracieusement donné ensuite. Mais de cela, aussi, nous avons, hélas, l’habitude.
Antoine de Lacoste – Boulevard Voltaire