Mardi 8 août, une pharmacie de Nantes était « braquée à la machette », comme écrivent incorrectement les journalistes (« braquer » étant devenu, pour eux, synonyme d’« attaquer »). La semaine dernière, à Toulouse, un Antillais colérique jouait du même genre de lame aux dépens de son beau-frère. À Charleroi, les deux agents de police ont également subi un assaut « à la machette ». Machette à Stuttgart et à Reutlingen, en juillet. On a déjà presque oublié. Le lendemain de l’abominable tuerie « au poids lourd », on arrêtait un homme qui se promenait avec une machette, tranquillement, sur la promenade des Anglais.
Les faits divers à la machette semblent foisonner partout en France et en Europe. Dans notre douce contrée, le grand couteau a follement tournoyé depuis le début de cette année : à Marseille, Chelles, Montigny, Mirande, Langon, Pontoise, Bordeaux, Brie-Comte-Robert, Toulon, Montreuil, Oléron, Clermont-Ferrand, Rennes, Menton et, bien sûr, Roubaix. Et j’allais oublier Calais. Des agressions, des menaces, des rixes, des doigts coupés et des magnifications d’Allah.
Nos compatriotes de La Réunion connaissent bien la machette, qu’ils nomment le « sabre à canne », le « sab’ » en créole : elle est fréquemment utilisée, là-bas, pour couper la canne à sucre, se frayer un chemin parmi la végétation tropicale et, non moins couramment, pour régler les différends quotidiens ou pour assouvir quelque tranchante pulsion. Tout le monde a son coupe-coupe, chez lui ou dans sa voiture. Tous les jours, les tribunaux réunionnais jugent plusieurs dizaines d’agressions à la machette. La moitié de ce que la police classe dans les « coups et menaces » est effectuée à l’aide du sabre. Il est inutile de rappeler l’usage atroce qu’en firent les Hutus au Rwanda, en 1994.
Dans ces régions du monde, la machette est, bien sûr, indissociable d’un mode de vie et d’un environnement naturel. Elle est inséparable de la jungle. Aussi nous paraît-il fort étrange d’une part, et hautement symbolique d’autre part, que ce hachoir inconnu fasse son apparition dans les rues de nos villes. Il y importe un type de violence inédit, fait entrer la jungle dans nos rapports sociaux et rétablit quelque chose de primitif dans les crimes de sang – tout comme l’égorgement pratiqué par les djihadistes fait retomber les sociétés modernes dans l’horreur sacrificielle.
L’homme à la machette affirme sa virilité, sa force, sa supériorité sur sa victime, pour laquelle il n’a pas plus de considération que pour une branche récalcitrante ; il découpe mains, bras et jambes pour avancer dans sa conquête et pour étendre son territoire. Il extermine la mauvaise herbe et les « cafards-kouffars » qui lui font obstacle. Il châtre son ennemi, cherchant à l’humilier et le soumettre (sexuellement, pourrait-on dire) autant qu’à l’éradiquer physiquement. Il tranche dans le vif du corps social qu’il veut diviser de façon nette et, narguant le « vivrensemble », sans espoir de réconciliation.