Le politiquement correct, c’est comme la Révolution : ça dévore ses propres enfants. Un processus mécanique, itératif, récurrent et récurant. Aujourd’hui, c’est Laurent Ruquier qui semble sentir le frisson du grand rasoir, surnom que l’on donnait à la guillotine sous la Terreur. Dans le JDD du 16 juin, l’animateur d’« On n’est pas couché » n’y va pas par quatre chemins : « On ne peut plus rien dire sur quoi que ce soit. » On peut donc se coucher tard, finir par se réveiller et ouvrir les yeux.
Nous vivrions, selon l’animateur noctambule, « sous la dictature de Twitter et de Marlène Schiappa ». À l’heure où j’écris ces lignes, la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations n’a pas encore réagi. Question : c’est quoi, le féminin de dictateur ? Dictatrice, dictateure, dictateuse ou dictateresse ? Un grand débat est possible. C’est vrai, en tout cas, que Mme Schiappa saisit le CSA à la vitesse de l’éclair. Plus vite qu’il n’en faut à la lame d’acier de sinistre mémoire pour séparer la tête du corps. Action, réaction, c’est sa devise. Sur sa tombe, on pourra graver cette épitaphe : « Rien n’échappa à Schiappa. » Et Laurent Ruquier de préciser sa pensée : « Nous sommes en permanence la proie des lobbies, des associations, de corporatismes catégoriels [c’est un peu un pléonasme, mais bon…], du communautarisme… »Oulala, virage dangereux. Marine Le Pen, Éric Zemmour et consorts, vite, sortez de ce corps avant qu’on n’aille vous chercher !
Amusants, donc, les propos de Laurent Ruquier. Amusants dans sa bouche, je veux dire. En effet, car qui déclara, au Parisien Magazine : « La télé n’a jamais été aussi libre » ? Ce même Laurent Ruquier. C’est vrai que c’était avant. Avant ? En août 2017. Autant dire, il y a une éternité. Il est vrai, aussi, que Marlène Schiappa prenait à peine ses marques. Mais peut-on tout mettre sur le dos de la dame ? Ce ne serait pas honnête, malgré tous ses mérites. Ironie de l’histoire, dans les colonnes de ce même JDD, Patrick Sébastien, interviewé en février 2018 à l’occasion de son dernier one-man-show et réagissant aux propos satisfaits de Ruquier, avait déclaré, lui aussi, qu’à la télé, « on ne peut plus rien dire », ajoutant au sujet de son ennemi public : « Je me fais du souci pour lui. J’ai peur qu’il soit tondu à la Libération. » Ajoutant, prémonitoire : « Si, avec ça, je ne me fais pas virer de la télé… » Depuis, effectivement, Patrick Sébastien a été viré de la télé d’État et a pris le maquis. Laurent Ruquier compte-t-il rejoindre la Résistance ?
Georges Michel – Boulevard Voltaire