« England’s difficulty is Ireland opportunity » (« Les difficultés de l’Angleterre sont une opportunité pour l’Irlande ») : pour les nationalistes irlandais les plus déterminés, Eoin MacNeill, James Conolly, Padraig (Patrick) Pearse, il faut profiter de l’entrée en guerre contre l’Allemagne pour contraindre les Anglais à jeter du lest en Irlande.
Depuis des semaines, de grandes banderoles déployées sur des bâtiments publics donnent le ton : « We serve neither king nor kaiser, but Ireland » (« Nous ne servons ni le roi ni l’empereur, mais l’Irlande »). Certains Volontaires hésitent à sauter le pas. D’autres sont prêts à s’allier avec qui les aidera : « Les ennemis de nos ennemis sont nos amis ! Jadis, Hugh O’Donnel s’est bien appuyé sur l’Espagne contre les Anglais et Wolf Tone sur la France pour chasser les Brits ! » Sauf que les Allemands, malgré l’entregent de sir Roger Casement (qui sera pendu à Londres le 3 août 1916), se font prier pour envoyer des armes.
Sans ces armes, Eoin MacNeill propose d’ajourner le soulèvement. Mais le groupe de Dublin, placé sous le commandement de Padraig Pearse, refuse d’obéir. On a décidé de passer à l’action le 24 avril, ce sera le 24 avril… Au jour dit, en début d’après-midi, dans un Dublin bourré de promeneurs, les Volontaires s’emparent de la Grand-Poste de O’Connel Street, en plein cœur de la ville. Pendant que le drapeau vert-blanc-orange est déployé sur le bâtiment et que Pearse proclame la République, d’autres groupes de combat occupent le Palais de justice, l’Hôtel de ville, des gares et des usines. Leur armement est hétéroclite : des Lee-Enfields, des vieux Lee-Metfords, quelques Mausers, des Martinis, des fusils de chasse… Depuis l’Hôtel de ville où les insurgés sont barricadés, on aperçoit une foule de badauds, indifférente, voire – et c’est un crève-cœur – hostile. Mais on entend pourtant quelques courageux « Vive l’Irlande libre ! »
Très vite, les Lanciers britanniques prennent position au bout de la rue. Un ordre : « Chargez ! » Une rafale. Trois lanciers sont touchés. Les autres refluent en désordre. A intervalles réguliers, des motocyclistes servant d’agents de liaison apportent des nouvelles aux groupes rebelles. Tous les objectifs fixés ont été atteints. Sauf un : le Château de Dublin tenu par les Britanniques. Les insurgés sont moins de mille. Les forces de répression nombreuses : les 3 000 hommes du 6th Cavalry Regiment, du 3rd Royal Irish Rifles, du 10th Royal Dublin Fusiliers, du 3rd Royal Irish Regiment.
Le 25 avril, le ciel est à l’orage. Et les troupes anglaises arrivent par trains entiers. A trois heures de l’après-midi, l’artillerie anglaise passe à l’action. Des petits groupes de Volontaires – ceux qui ont pu décrocher des poches qu’ils tenaient – arrivent à la Grand-Poste. Le 26, les manœuvres d’encerclement de la Grand-Poste se précisent. Un prêtre âgé, qui a pu se glisser dans le bâtiment, vient confesser et bénir les insurgés.
Au quatrième jour de l’insurrection, Pearse s’adresse à ses hommes : « Pendant ces quatre jours, vous avez gravé par le feu le chapitre le plus glorieux de l’histoire d’Erin. Moi qui vous ai amenés ici, je proclame votre héroïsme au nom de l’Irlande présente et à venir. Le sort des armes vous est contraire, pourtant vous méritiez de remporter la victoire. Mais ne vous y trompez pas : vous serez vainqueurs de toute façon, même si vous emportez votre victoire avec vous dans la mort. Ce que vous avez fait est sans prix. Vous avez lavé Dublin de sa honte. »
Dans la Grand-Poste, c’est l’enfer. James Connoly, blessé deux fois, reste en première ligne. Les deux derniers étages sont en flammes. Les obus incendiaires tombent de tous côtés. Pearse prend alors une décision : « Il faut évacuer et se replier sur la fabrique de savon de Parnell Street. » Détachement par détachement, les Volontaires forcent le passage, galvanisés par les mots de Michael Collins : « Faites sauter la tête de tous ceux qui chercheront à vous arrêter, les gars ! En avant ! » Mais, dès qu’ils sortent, ils tombent sous les balles. Alors, ils forcent la porte d’une petite maison et, défonçant les cloisons à la pelle et à la pioche, ils réussissent à passer.
Le 29 avril, les Anglais ayant commencé à massacrer des civils, Pearse accepte de déposer les armes. Au coucher du soleil, tout est fini. Désarmés, les survivants sont parqués dans la cour du Rotunda Hospital. Et les Anglais se déchaînent. Le 3 mai, Padraig Pearse, Tom Clarke et Thomas MacDonagh sont fusillés. Le 4 mai, c’est au tour de Michael O’Hanrahan, Joseph Plunkett et Edmond Daly. Le 5 mai, Sean MacBride tombe sous les balles. Le 8 mai, Cornelius Colbert, Eamon Ceannt, Sean Henson, Michael Mallin. Le 12 mai, James Connoly est arraché à son lit d’hôpital et fusillé assis sur une chaise. Le même jour, Sean MacDiarmada le rejoint dans la mort. Condamnés à mort, Eoin MacNeill, Eamon De Valera, la comtesse Markiewicz et William Cosgrave voient leur peine commuée en prison à vie.
Lors des élections qui suivirent l’armistice, les héritiers des héros des Pâques sanglantes balaieront les tièdes, ceux qui étaient restés l’arme au pied pendant qu’on massacrait leurs frères. Le 21 janvier 1919, les élus irlandais, constitués en Oaïl Eireann (Assemblée d’Irlande), confirment la libre république de 1916 et choisissent pour président un des combattants de la Grand-Poste, Eamon De Valera. Le sang des héros gaéliques n’avait pas coulé en vain.
Pour aller plus loin :
Tim Pat Coogan, Michael Collins, the Path to Freedom, Mercier Press, 1968
Margery Forester, Michael Collins, the Lost Leader, Sphere Books, 1972
Pierre Joannon, Michael Collins, La table Ronde, 1978 et 1996
Jean Mabire, Patrick Pearse, une vie pour l’Irlande, Terre et Peuple, 1998
Jean-Pierre Maxence, Pâques 1916, renaissance de l’Irlande, Via Romana, 2007
Rex Taylor, Michael Collins, New English Library, 1958
Alain Sanders, Bal(l)ades irlandaises, Atelier Fol’Fer, 2012.
Alain Sanders -Présent