Par Christian Daisug
Platon affirmait que dans une cité, lorsque la musique change, les lois ne tardent pas, elles aussi, à changer. Ludwig van Beethoven estimait que la musique, bien davantage que toutes les armées de tous les pays, était capable de bouleverser le monde. Arthur Schopenhauer, l’une des gloires de la philosophie allemande – et donc de la civilisation européenne – mit la musique au sommet de l’édifice artistique « parce qu’elle permet à l’homme, bien plus que l’architecture, la sculpture ou la peinture, d’anéantir son moi pour se perdre dans la contemplation du sublime ».
L’exploration de la nuit des temps nous apprend que, si le premier instrument fabriqué par nos ancêtres était destiné à tuer pour se défendre, le deuxième a été consacré au repos. Et ce fut le plus rudimentaire des instruments de musique. Près de 70 % des auditeurs interrogés récemment par une station de radio reconnurent qu’il leur serait impossible d’imaginer leur environnement quotidien sans musique. La musique est omniprésente, protéiforme, éternelle.
Chaque période de l’humanité a sa musique – comme chaque culture, chaque mode, chaque pays. Le général sudiste Robert Lee disait que concevoir une troupe sans musique serait absurde. Le PDG des grands magasins Macy’s avoua que l’absence de musique dans l’entreprise ferait baisser les ventes de 25 %. Mieux que n’importe quelle décoration murale, la musique peut créer une ambiance et calmer les esprits. Mieux que n’importe quelle violence physique, la musique peut pousser au drame et démolir les consciences. La musique est capable du meilleur comme du pire. Sa puissance évocatrice paraît illimitée. Son pouvoir destructeur également. Les manipulateurs globalistes le savent bien : ils se servent de la musique comme d’un poison.
On connaît, pour les avoir observées dans d’autres domaines, les trois étapes du globalisme, ce mécanisme destiné à soumettre les idiots utiles et les victimes impuissantes au nouvel ordre monétaro-sioniste. Première étape : on déracine l’individu, autrement dit on le coupe de son passé et on lui ment sur son avenir. Seul compte le présent vécu comme une sorte de « constructionnisme » qui exalte le moi, flatte l’orgueil, tout en maintenant un haut niveau de frustration, gage d’indispensable vulnérabilité.
Deuxième étape : on isole l’individu pour mieux le saisir tout en lui faisant croire qu’il fait, plus que jamais, partie intégrante d’une communauté. En réalité, la gestion problématique de son ego devient la seule obsession. Il se débat entre l’obligation de rejeter son environnement humain et la nécessité d’imposer l’incohérence de sa vision du monde.
Troisième étape : cet individu, suspendu dans le vide, livré à lui-même, sans repères et sans appuis, s’est transformé en proie idéale pour toutes sortes de manipulations. Il ne croit en rien. Il ne sait rien. Il déglutit et recrache. Son organisme s’assimile à l’appareil digestif d’un ver de terre. L’exagération en surprendra certains, mais les globalistes, dans leur coin, savent que ce stade de « mûrissement » est le résultat de leur alchimie. Une alchimie perverse, diabolique, aussi sournoise qu’un poison incolore et inodore que l’on verse au fond d’un verre sur une table de nuit. Rien de foudroyant, au contraire. La musique agit lentement, sûre de son charme vénéneux.
De toutes les armes utilisées par le globalisme (télévision abrutissante, votes robotisés, inflation dissolvante, élites vendues), la musique est la seule qui ait réussi à se glisser dans l’édifice à abattre – la société – en provoquant fort peu de réactions adverses. La télévision fabrique de moins en moins de dupes ; la démocrassouille recrute de plus en plus de réfractaires, comme l’inflation qui discrédite de plus en plus de régimes et les élites qui creusent de plus en plus leur tombe. Tableau incertain, chaotique et par moments décevant pour un puriste du Nouvel Ordre : pas assez de tenue, de cohésion, d’unité. La difficulté vient de l’obligation de jouer le même morceau sur plusieurs claviers.
Tandis que la musique, elle, coule comme un long fleuve tranquille ou déchaîné, qu’importe, mais elle coule, indifférente, imperturbable, lancinante, fière de son pouvoir comme un élixir enveloppant mais discret qui attend son heure parce qu’il sait que cette heure viendra. Elle vient, cette heure, forcément, parce qu’il existe des virtuoses de l’intoxication musicale comme il existe des virtuoses de l’archet. De sordides ficeleurs de destin qui ont tout de suite compris que l’architecture des sons constituait un terrain solide, prometteur, à condition d’insérer dans les partitions une dose substantielle de cynisme joliment enrobé d’impressionnantes rêveries. La musique mène à tout : il suffit d’y rester. C’est un monde en soi, jaloux, exclusif – total.
Du haut de leur olympe, Mozart, Bach, Vivaldi, Chopin et beaucoup d’autres regardent, impassibles, comme un signe annonciateur de temps troublés, l’implacable offensive du rock et du rap, cavaliers d’une apocalypse dont les victimes sont ensevelies sur des airs qui les ont tuées. En politique, on parle de chaises musicales. En subversion, on évoque les cimetières musicaux. Ce sont le rock et le rap qui, par tombereaux entiers, les peuplent. Un serial killer, comme on dit ici. Méthodique, puissant. Placez-vous devant un grand miroir et poussez à fond du rock sans concession. Au bout de dix minutes, batterie, cymbales, saxophone et guitare vous entreront dans le corps jusqu’à le propulser vers toutes sortes de fantaisies. Vous serez danseur, chanteur, acrobate, acteur, judoka. Vous serez ce que votre moi sollicité par une douce hystérie vous dira d’être. Vous êtes en dehors de vous à la recherche d’un autre : votre moi sublimé enfin débarrassé d’une glaise qui l’étouffait.
Aucune autre musique n’a cette faculté de dédoubler une personnalité. Aucune autre musique n’a cette possibilité de brouiller un vouloir. On a constaté que certaines milices africaines, particulièrement barbares, ne maniaient pas la machette sous l’empire de l’alcool ou de la drogue, mais du rock. Et dans les caves de banlieues, le rap, excitant luciférien, accompagne, comme dans un rite, les viols collectifs. Sur les champs de bataille du psychisme qui sont aussi les territoires de rêves mal compris et de passions mal vécues, le rock et le rap, comme des termites, érodent l’identité : on ne remplace que ce que l’on a détruit.
Le rock et le rap remplacent une identité défunte par une identité factice : ultime mensonge, ultime impasse. Après, l’individu est livré pieds et poings liés aux sorciers du globalisme pour calibrage définitif. Avant, le même individu se débattait encore dans ses chimères comme pour se prouver qu’il avait une chance ultime de s’en sortir. « Le rock dramatise les egos en les amplifiant, explique William Kilpatrick, professeur de psychologie à l’université de Boston. Le rock n’est pas une musique qui rassemble. C’est tout le contraire : une musique qui retranche, qui isole. Une musique de reclus, de solitaire. Le rock tambourine aux oreilles de l’individu deux messages corrosifs. Le premier : tes émotions sont sacrées. Le second : il n’y a rien au-dessus de tes émotions – ni morale, ni vérité. » Cette hypertrophie du moi balaie toute autorité, supprime toute hiérarchie, anéantit tout devoir. La liberté dans une bulle retranchée du monde réel, qui est nié avec une insolence méprisante. Une insolence chargée d’assurer l’étanchéité artificielle d’un destin.
C’est le triomphe du relativisme dans la mesure où c’est le règne de l’arbitraire. On efface d’un geste les parents pour passéisme et toute figure du pouvoir pour obscurantisme. Il ne reste pas plus de valeurs que de repères. Tout est à la fois lisse et boursouflé. Gonflé par un narcissisme qui étouffe. L’individu brasse l’air au moment où s’avance l’exécuteur des basses œuvres du globalisme muni d’une grande faux comme la Mort. Elle lui sert à trancher les derniers fils du jugement et de la lucidité pour faire de l’halluciné, pris en flagrant délire de rock, un des spadassins du Nouvel Ordre.