« Cette saison, on ajoute une touche ethno chic à notre déco d’intérieur : une réelle invitation au voyage ! » lance cette grande enseigne de décoration nous suggérant de « créer une ambiance chaleureuse avec des tapis et objets d’ailleurs… » Pour réchauffer nos intérieurs, surtout quand le temps dehors est maussade, quoi de mieux que ces assiettes mauresques, lanternes méditerranéennes, tapis orientaux et paniers tressés qui débarquent dans nos foyers et permettent de rester parfaitement tendance ?
S’enrichir de la culture de l’autre, pourquoi pas, l’invitation au voyage n’est pas désagréable. Pour autant, cette envie de soleil bien légitime, cette pression consumériste et multiculturaliste nous faisant céder à la tentation de la mode ethno chic ne doivent pas nous faire oublier nos propres origines. Pourquoi aller chercher loin ce que nous aurions tendance à reléguer aux oubliettes de nos greniers, nos meubles de famille, ces fantômes recouverts de draps blancs les protégeant de l’usure du temps et tous ces bibelots au charme suranné, riches d’une histoire à transmettre aux générations futures ? Car cet appel du désert est moins anodin qu’il n’en a l’air : le zéphyr qu’il entend faire souffler dans nos maisons n’emporte pas avec lui que la saison dernière. Avec lui, c’est notre vie intérieure, nos souvenirs de famille, nos objets familiers qui laissent place à un décor enrubanné de nouveauté.
Amour du travail bien fait
Il faut déambuler chez les antiquaires, brocanteurs et autres dépôts-ventes, au moins pour le plaisir des yeux, si ce n’est pour remonter le temps, à cette époque pas si lointaine où les meubles étaient conçus dans l’amour du travail bien fait, par des artisans détenteurs d’un savoir-faire et d’une patience dans l’exercice.
Les armoires de mariage, à la hauteur parfois si imposante qu’elles ne rentrent plus dans nos logements contemporains, sont aujourd’hui délaissées au profit de dressings plus « fonctionnels » mais surtout plus spacieux pour accueillir l’accumulation de nos achats compulsifs. Exit, donc, le meuble en bois (trop) massif de la grand-mère et ses petits sachets de lavande qui parfumaient draps et nappes brodés.
Et si le « vintage » (ça sonne mieux que « l’ancien ») était, au contraire, résolument tendance, n’en déplaise aux stylistes inspirés ? Écologique : pas d’empreinte carbone pour faire venir « d’ailleurs » ces nouvelles collections. Éthique : la main-d’œuvre n’est pas payée au lance-pierre. Symbolique : ces meubles et bibelots transmettent l’histoire d’une vie, d’un arbre généalogique réimplantant des racines chez des jeunes en quête de sens. Enfin, et malgré elles, nos antiquités se font porte-parole d’une résistance culturelle.
« J’ai vu toute mon enfance rempailler des chaises exactement du même esprit et du même cœur, et de la même main, que ce même peuple avait taillé ses cathédrales », écrit Péguy. Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient…
Iris Bridier – Boulevard Voltaire