Jeudi soir, le couple Macron inaugurait dans une joyeuse pagaille l’édition 2018 du Salon du livre. Au milieu des petits fours, zakouskis et autres piroshkis, nos amis russes, invités d’honneur de cette grande manifestation, croyaient recevoir l’hommage de ces deux fins lettrés. Chou blanc, chou vert, chou fermenté. Le Président et Madame ont ostensiblement évité le pavillon russe, un repaire de méchants.
Explication du tsar Macron : « J’ai décidé, compte tenu du contexte international, de ne pas me rendre sur le salon de la Russie en solidarité avec nos amis britanniques. » Soit un vieux relent de guerre froide réchauffé comme un fond de sauce depuis l’empoisonnement de l’ex-espion Sergueï Skripal au Royaume-Uni.
Bortsch et barbouzes, Londres nid d’espions… de quoi faire oublier pour un temps l’embourbage du Brexit où s’enlisent nos chers voisins.
Au fond, il n’y a rien de plus simple que la politique étrangère : ici les bons, là les méchants. Suffit de se tenir à jour. Un petit pas de côté si ça coince, une risette à maman et rangeons-nous du côté des puissants. Rien de changé, en fait, depuis la maternelle, c’est toujours la même tactique, un peu hypocrite. Ainsi monsieur Macron a-t-il assuré les auteurs russes de son indéfectible soutien : « Il importe de poursuivre le dialogue avec toutes celles et ceux qui parfois s’opposent avec beaucoup de courage contre tous les excès du régime en place. » Poursuivons donc… Après la fessée, une caresse dans le sens du poil.
C’est que notre République aime les rebelles. Mais attention, hein, il faut être un rebelle qui marche bien dans les clous de la « rebellitude ». Pas question de s’égarer dans des sentiers non balisés. Ils sont assez nombreux dans cette troupe, surtout des « amuseurs publics », tous dûment labellisés, estampillés et même souvent décorés : Légion d’honneur, Arts et Lettres, on en passe et de plus illustres hochets…
Parmi ceux-là, un vieux jeune homme qui, depuis trente ans maintenant, fait les beaux jours des médias, des salles de spectacle et des prétoires. J’ai nommé JoeyStarr, de son vrai nom Didier Morville. Le roi du rap et de la castagne. Un coup chanteur, un coup dealer, parfois comédien, parfois producteur, toujours cogneur. De la prison ferme, des amendes en veux-tu en voilà, condamné pour coups et blessures, usurpation d’identité et usage de faux, détention de drogue et d’arme, violences conjugales, violences volontaires (à coups de hachoir !), sans compter les injures à agent et autre rébellion alcoolisée…
Voilà sans doute pourquoi, en récompense de ces bons et loyaux services rendus à la nation, monsieur François de Rugy, actuel président de l’Assemblée nationale, a convié JoeyStarr à donner dans ce lieu hautement symbolique une représentation de la pièce Éloquence à l’Assemblée*.
Il faut dire que le rappeur de Nique ta mère est la coqueluche du Tout-Paris qui « adore » cette pièce qu’il donne actuellement au théâtre de l’Atelier. Pensez, Télérama soi-même l’écrit : « Le geste force le respect : monter sur scène comme on monte à la tribune des grands anciens pour déclamer des extraits de certains des plus beaux textes sur la liberté, l’égalité et la fraternité des plus éloquents membres de l’Assemblée nationale depuis la Révolution. » Défilent Victor Hugo, Lamartine, l’abbé Grégoire… « De temps en temps, JoeyStarr trébuche sur un mot, mais c’est pour mieux repartir, vibrant, et finir sur un trio superbe : Simone Veil, Aimé Césaire et André Malraux. Le droit des femmes à disposer de leur corps, le respect des anciens colonisés et l’appel à la culture. Puis il quitte la scène. Le citoyen a “envoyé le pâté” », s’émeut Guillemette Odicino.
C’est vrai, militer pour le droit des femmes quand on a pris huit mois ferme pour avoir massacré une hôtesse de l’air puis sa compagne, ça force l’admiration…
Marie Delarue – Boulevard Voltaire
- Les discours prononcés à l’Assemblée nationale déclamés sur la scène du Théâtre de l’Atelier par JoeyStarr.
- ROBESPIERRE :
Ultime discours (26 juillet 1794)
L’ABBE GREGOIRE :L’unité de langue (4 juin 1794)
ALPHONSE DE LAMARTINE :Proclamation de la Deuxième République (24 février 1848)
VICTOR HUGO :
Détruire la misère (9 juillet 1849)
La liberté de l’enseignement (15 janvier 1850)
Le suffrage universel (21 mai 1850)
Plaidoyer contre la peine de mort (15 septembre 1848)
Actes et paroles – Avant l’exil (20 juin 1848)
La liberté de la presse (11 septembre 1848)
OLYMPE DE GOUGE :Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (28 octobre 1791)
ALEXIS DE TOQUEVILLE :Je crois que nous nous endormons sur un volcan (27 janvier 1848)
JEAN JAURES :Discours à la jeunesse (30 juillet 1903)
AIME CESAIRE :Le colonisateur et le colonisé (11 juillet 1949)
SIMONE VEIL :L’avortement (26 novembre 1974)
ANDRE MALRAUX :Les peuples demandent de la culture (27 octobre 1966)