Que n’a-t-on pas dit des Jésuites depuis leur fondation en 1539 ? Dans l’Église comme « dans le monde », ces clercs réguliers endossent plus qu’à leur tour le rôle de « têtes de Turcs ». Leur lutte contre les protestants, les jansénistes, les gallicans, les « Lumières » du XVIIIe siècle, leurs audaces éducatives et missionnaires, leur tendance à jouer les « mouches du coche » dans l’Église et dans la société, en font une cible privilégiée. Hommes de l’ombre, tortueux, ils incarnent tous les fantasmes dont se délectent les anticléricaux et que redoutent les autorités ecclésiales. « Il est à peu près impossible que, la société des jésuites subsistant, l’Église puisse jouir d’une paix véritable et permanente », avait écrit le pape Clément XIV en supprimant la Compagnie de Jésus en 1773…
La fière contrition du pape François
Mais il faut croire qu’il n’appartient pas à la mission de l’Église de « jouir d’une paix permanente » puisque la Compagnie… et les attaques contre elle, sont reparties de plus belle avec son rétablissement en 1814 par le pape Pie VII. Deux cents ans plus tard, l’Église choisissait pour la première fois un jésuite pour mener la barque de Pierre. Le pape François parle donc d’expérience lorsqu’il dit des Jésuites : « Nous sommes des hommes en tension, nous sommes aussi des hommes contradictoires et incohérents, pécheurs, tous ». Mais, ajoute-t-il aussitôt, « nous voulons nous battre sous l’étendard de la Croix, dans la Compagnie qui porte le nom de Jésus » (Homélie de la messe d’action de grâce pour la canonisation du jésuite français Pierre Favre, 3 janvier 2014). Une fière contrition, typiquement jésuite !
Une pédagogie du paradoxe et de l’humour
Rien de tel qu’un jésuite pour nous faire entrer dans le mystère des Compagnons de Jésus et nous en faire savourer les paradoxes. Nikolaas Sintobin, jésuite flamand, a résolument choisi l’humour pour nous introduire à la spiritualité ignacienne dans ce petit livre dont chaque chapitre s’ouvre par une blague jésuite. Cet ancien avocat sait apprivoiser le lecteur et le captiver. Il explique sans effets de manche comment les Jésuites vivent, prient, travaillent, agissent, tout en visant l’union avec Dieu. Il nous les montre affronter les situations tendues, se former à la liberté, s’engager dans la société ou encore pratiquer l’obéissance « more jesuitico » (qui contrairement à la formule faussement attribuée à saint Ignace : « Perinde ac cadaver », ne consiste pas à pousser la docilité jusqu’à l’inertie du cadavre !).
Autocorrection fraternelle…
En somme, cette initiation à la spiritualité et au mode de vie jésuite paraît suivre la devise que le poète français Santeul donnait en 1630 à la Comédie : « Castigat ridendo mores » (Elle corrige les mœurs en riant). Illustration de cette autocorrection fraternelle, cette histoire – une sur vingt – illustrant la haute estime dans laquelle les Jésuites tiennent leurs établissements d’enseignement : « Un jésuite, un dominicain et un franciscain se promènent ensemble (…) Soudain leur apparaît la Sainte Famille [dans la crèche]. Le franciscain se prosterne (…) paniqué de voir Dieu naître dans une telle pauvreté. Le dominicain tombe à genoux, en adoration devant ce splendide spectacle de la Trinité et de la Sainte Famille. Quant au jésuite, il s’approche de Joseph et lui dit : “Est-ce que vous avez déjà réfléchi à quelle école vous allez envoyer le gamin ?” ».
Moquez-vous des jésuites… : humour et spiritualité de Nikolaas Sintobin. Éditions Fidélité, 90 pages, 11,50 euros.
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