Manderley for ever de Tatiana de Rosnay

Tatiana de Rosnay signe une biographie fouillée de Daphné Du Maurier, idole de sa jeunesse et auteure du mythique Rebecca. “Daphné Du Maurier est entrée dans ma vie lorsque ma mère, anglaise, m’a offert Rebecca pour Noël. Je devais avoir 12 ans, et j’étais un vrai rat de bibliothèque. Ce livre a été une révélation. Je voulais déjà être romancière, et je signais Tatiana Du Maurier. Bref, j’étais complètement possédée.”

Immortalisée au cinéma par Alfred Hitchcock, l’histoire tragique et envoûtante de madame de Winter, seconde épouse du riche propriétaire d’une somptueuse propriété, Manderley, et obligée de lutter contre le fantôme de sa rivale, la magnétique Rebecca, contient déjà toutes les caractéristiques du style Du Maurier: suspense, personnages ambivalents aux motivations troubles, attachement irrationnel à un souvenir ou à un lieu. “C’est ce qui m’intéressait en m’attaquant à cette biographie, souligne la fille de Joël de Rosnay. Montrer la naissance d’une vocation, comment cette jeune fille s’était mise très tôt à inventer des histoires plutôt sombres, avec des personnages incroyables.”

Car évidemment, l’auteur de Elle s’appelait Sarah, ne s’est pas arrêtée à Rebecca. Adolescente, elle dévore les oeuvres complètes de sa compatriote. Et commence à son tour à publier des livres, qui ne connaissent pas tout de suite le succès. C’est Gérard de Cortanze, éditeur chez Albin Michel, détenteur des droits de la romancière britannique, qui lui suggère l’idée d’une biographie il y a plus de dix ans, avant de revenir à la charge récemment, en lui proposant un partenariat avec sa propre éditrice, Héloïse d’Ormesson.

Ecrire sur son idole
“J’ai hésité, confie la romancière. Je n’osais pas m’attaquer à mon idole. C’est mon mari qui m’a convaincue en me soufflant: imagine ta tête si c’est quelqu’un d’autre qui écrit sur ‘ta’ Daphné.” Première mission: obtenir la bénédiction des trois enfants de Daphné Du Maurier, nés de son union avec le séduisant major Frederick Browning. “J’ai été aidée par ma double nationalité franco-britannique, confie la romancière. Daphné Du Maurier ayant elle-même des ancêtres français dont elle était très fière, la boucle était bouclée, en quelque sorte.”

Sur les traces de Daphné

Elle s’engage alors dans une longue enquête en forme de pèlerinage sur les traces de Daphné. Son enfance londonienne, au foyer d’un acteur de théâtre connu de la scène britannique, aux lointaines origines françaises, sorte de Sacha Guitry anglais au tempérament irascible et presque abusif. “Petite, elle fuit les mondanités et se réfugie dans son pays imaginaire. Elle se crée aussi un double masculin, Eric Avon, qui lui permet d’exprimer ses instincts de garçon manqué.”

L’ambivalence sexuelle de l’auteur, qui eut des liaisons avec des femmes mais fut éperdument amoureuse de son mari, fut au centre des biographies déjà parues en Angleterre, au grand dam de ses enfants. Tatiana de Rosnay, elle, préfère se concentrer sur cette vocation précoce et dévorante qui la conduit très tôt en France. “Son french blood, c’était aussi sa part d’ombre. Elle était fascinée par le personnage de son grand-père, Kiki, dessinateur né à Paris dont elle va suivre les traces dans le quartier de Montparnasse. J’ai adoré raconter les voyages en France de Daphné, de La Bourboule à Trébeurden, en compagnie de Fernande, la directrice de son pensionnat pour laquelle elle eut une immense passion, qui se mua ensuite en amitié.”

Le goût de la littérature
Les fauteuils de Fernande trônent aujourd’hui dans le salon de Tessala fille aînée de Daphné, si elle n’a pas hérité de sa passion pour la fameuse Menabilly, la maison de Cornouailles où la famille vécut pendant vingt ans et qui a inspiré Manderley -“il y avait des rats et des courants d’air”, se souvient la vieille dame-, elle est la seule des trois enfants à avoir appris à parler français. “Ma mère m’a transmis son goût pour la littérature, se souvient-elle encore. Petite, j’envoyais chaque semaine ma liste de livres chez Harrods. J’ai dû lire Rebecca vers 12 ans, en même temps qu’Anna Karénine. Je ne trouvais pas ça plus extraordinaire que cela que ce soit ma mère qui l’ait écrit. Quand nous étions petits, elle était très égoïste. Plus tard, elle est devenue plus maternelle, et plus sympathique.”

À partir de ses 50 ans pourtant, les soucis personnels assaillent l’écrivaine, à commencer par la mauvaise santé et l’alcoolisme de son mari qui ne s’est jamais remis des horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Son inspiration semble se tarir. Elle meurt en 1989. “Quand j’ai appris sa mort, j’étais à l’hôpital, enceinte de mon fils, se souvient Tatiana de Rosnay. J’étais effondrée. J’ai appelé ma mère pour lui dire : Daphné Du Maurier est morte.”

Manderley for ever, par Tatiana de Rosnay, Albin Michel Héloïse d’Ormesson, 459 pages, 22€.

Rebecca, par Daphné Du Maurier, nouvelle traduction par Anouk Neuhoff, Albin Michel, 544 pages, 25€.

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