La Directive sur les essais cliniques publiée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne en 2001 dispose qu’« aucun essai de thérapie génique ne peut être entrepris s’il conduit à une modification du patrimoine génétique de la personne ». Si nul n’est censé ignorer la loi, les députés britanniques ont évacué la question et adopté le 3 février dernier, par 382 voix sur 510, l’autorisation de concevoir des enfants à partir de trois ADN différents.
Une technique complexe
La science repousse toujours un peu plus les frontières de l’imaginable puisqu’elle sait désormais produire des enfants à partir de trois ADN différents, ceux d’un homme et de deux femmes, par transfert cytoplasmique. Comme toute cellule vivante, l’ovule est composé d’un noyau, du cytoplasme – liquide qui entoure le noyau – et de la membrane cytoplasmique qui délimite le tout. Les avancées techniques en matière de procréation médicalement assistée (PMA) permettent désormais d’extraire le cytoplasme défectueux d’une cellule pour le remplacer par un cytoplasme sain. Or cette partie de la cellule est, comme le noyau, porteuse de l’ADN de la personne. Le transfert cytoplasmique repose donc sur le mélange de deux ADN différents. Nous entrons dans l’ère des Bébés Génétiquement Modifiés.
Cette technique n’est pas nouvelle puisqu’elle avait été décrite en mars 1998 par Jacques Cohen, embryologiste néerlandais exerçant aux États-Unis. Pionnier de l’application des techniques de micromanipulation au processus de reproduction, c’est également lui qui a effectué la première congélation et décongélation d’un blastocyste (stade du développement de l’embryon humain entre cinq et sept jours). Dès 2001, le Dr Cohen annonçait dans la revue Human reproduction avoir obtenu des résultats concluants et publiait en 2002 le chiffre de 15 enfants nés de trois parents biologiques… et en bonne santé.
Une décision controversée
À l’époque, ces nouvelles avaient donné lieu à une vive polémique, notamment sur les enjeux éthiques de cette pratique. Les voix de certains scientifiques s’étaient également élevées pour dénoncer le manque de recul sur cette technique, peu expérimentée même sur les animaux. D’autant que les manipulations génétiques sont connues pour présenter des risques importants à long terme. La Food and Drug Administration américaine avait interdit ces pratiques mais les recherches se sont poursuivies dans le silence des laboratoires.
Aujourd’hui, la plupart des voix qui s’élèvent pour critiquer la décision des députés britanniques n’invoquent que la problématique médicale. Permettre la fécondation in vitro (FIV) à trois ADN serait dangereux dès lors que la communauté scientifique n’a que peu de recul sur les conséquences du transfert cytoplasmique qui pourrait s’avérer dangereux. Certaines personnalités politiques ou scientifiques ont néanmoins pointé du doigt le bouleversement éthique, voire anthropologique, que représente l’enfant génétiquement modifié. « Les évolutions des thérapies génétiques et des manipulations transgéniques sont trop rapides. Elles sont devenues incontrôlées voire incontrôlables. Jusque-là, l’essentiel de l’activité des généticiens s’était porté vers la manipulation génétique des plantes puis des animaux. Aujourd’hui, comme il fallait s’y attendre, l’homme est devenu l’enjeu principal », explique José Bové, député européen et figure de proue du mouvement altermondialiste. L’élu fait partie des 45 députés européens qui ont adressé, le 3 février dernier, une lettre ouverte au Secrétaire d’État à la Santé britannique pour lui faire part de leur vive inquiétude… Sans succès.
« Sauf imprévu, tous les enfants devraient être choisis dans les éprouvettes des biologistes bien avant la fin du siècle », écrivait Jacques Testart, biologiste de la procréation, dans son livre Faire des enfants demain paru en 2014. La FIV à trois parents, indéniablement, y mène tout droit. Et pour Jacques Testart, cette technique fait voler en éclats le seul interdit partagé par tous les pays dans le domaine de la biologie de la reproduction, celui de l’interdit du clonage humain. Sans entrer dans les détails techniques, la FIV à trois parents implique deux génomes féminins et un génome masculin… Comme la technique utilisée pour cloner la brebis Dolly. Seul les distingue encore le moment où est fait le transfert cytoplasmique, à avoir avant ou deux jours après la fécondation (au stade où l’embryon n’est composé que de 4 cellules).
Échapper à la souffrance
Les autorités britanniques expliquent que la FIV à trois parents est un procédé préventif, afin d’éviter la transmission de maladies mitochondriales graves (les mitochondries étant des organites présents dans le cytoplasme de la cellule, évoqué plus haut). Ces maladies sont extrêmement rares puisqu’elles touchent 9 à 12 personnes sur 100 000, soit entre 0,009 % et 0,012 % de la population.
Plusieurs associations et organisations internationales avaient plaidé en faveur de la légalisation de cette pratique, expliquant qu’elle « offre aux familles la première lueur d’espoir d’avoir un bébé qui pourra vivre sans douleur ni souffrances ». Ces militants croient-ils vraiment qu’il est possible de vivre « sans douleur ni souffrance » ? Pensent-ils sincèrement qu’un enfant en bonne santé sera forcément heureux ? C’est bien ce que véhicule la modernité, de même qu’elle suppose que l’enfant malade ou handicapé vivra forcément un enfer et qu’à ce titre, c’est lui rendre service que de l’avorter…