Georges Cziffra

Ses interprétations avaient quelque chose de fulgurant et d’imprévisible comme si ce virtuose accompli recréait en direct la partition qu’il exécutait. A ce titre, Cziffra s’inscrivait dans la lignée des grands interprètes romantiques. Une sensation que renforçait encore la fascination qu’il exerçait dans Liszt, un compositeur, hongrois comme lui, dont on avait dit un jour qu’il avait vampirisé ses doigts ! On ne peut toutefois limiter Cziffra à ses seules légendaires « Rhapsodies hongroises ». Chopin était pour lui un perpétuel objet de recherche. Des Beethoven, des Schumann, à nul autre pareil, occuperont ses pensées.

Mais là où il fascina le plus les foules, ce fut sans doute dans ses improvisations, paraphrases et transcriptions où il récupérait une grande tradition du 19e siècle, celle où le pianiste se doublait d’un improvisateur qui accaparait toute la musique en vogue de son époque : pour Cziffra, ce furent plutôt le Khatchatourian de la « Danse du sabre » Rossini, Johann Strauss ou une foule d’autres pièces courtes, du 18 e au 20e siècle qu’il transformait en autant de morceaux de bravoure sans rien leur enlever de leur esprit..
On connaît beaucoup moins l’homme Cziffra, un personnage aussi secret et timide que l’interprète était spectaculaire. Et pourtant quelle odyssée que cette existence qu’il nous a raconté dans un livre intitulé « Des  canons  et des fleurs» (Robert Laffont).

Au départ notre homme est un enfant de la balle dont le père jouait du piano et du cymbalum. Très vite, ce dernier saisit l’incroyable don de ce gamin qui, à 4 ans, reproduit d’oreille la musique que joue sa sœur au piano.
A 5 ans, il donne son premier concert dans un cirque en improvisant sur des thèmes populaires. A neuf ans, il entre à la fameuse Académie Franz Liszt, le célèbre conservatoire de Budapest. Son apparition fait l’effet d’une bombe : un prodige est né. A 15 ans, il commence ses tournées de concert qui le conduiront jusqu’aux Pays-Bas et en Scandinavie. Les choses sont brutalement interrompues par la guerre : il est mobilisé et fait prisonnier en 1941.

Après la guerre, il reprend ses études avec György Ferénczy, tout en jouant dans des bars à Budapest à Vienne pour gagner sa vie. Il ne supporte guère le régime communiste qui l’arrête et l’envoie dans un camp de travaux forcés. Horreur suprême, on l’y oblige à porter et casser des pierres des journées entières : de quoi lui briser les mains et lui ôter toute capacité à pratiquer son instrument. Il survit et, libéré en 1953, se rééduque et retrouve son niveau d’excellence au point de se voir décerner le Prix Franz Liszt en 1955. L’année suivante, il fuit son pays et donne à Paris son premier concert.au Théâtre du Chatelet. Un triomphe ! La rumeur dit qu’il a trissé le concerto de Liszt.
Dans la foulée, il enregistre pour EMI une mémorable intégrale des « Rhapsodies hongroises » de Liszt. Il ne quittera plus les studios.

L’homme se souvient de l’accueil que lui a fait la France. En 1966, il fonde le festival de la Chaise-Dieu et crée en 1975 une fondation pour encourager les jeunes artistes. Mais, une fois de plus, le destin le rattrape : son fils György, un chef d’orchestre en compagnie duquel il a réalisé quelques enregistrements meurt en 1981. Effondré, le pianiste se détourne des concerts pour se consacrer entièrement à sa fondation installée dans la Chapelle Royale Saint Frambourg de Senlis que lui a confiée André Malraux et qu’il rénove complètement. C’est dans cette ville qu’il meurt en 1994.

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