A la droite de Dieu

Pourquoi le monde catholique s’est-il réarmé politiquement et intellectuellement ? Quelles ont été les causes de son raidissement ? Quels ont été les symptômes de sa colère ? Quelles sont les conditions de son renouveau ? C’est à toutes ces questions et bien d’autres que répond dans ce livre Laurent Fourquet.
Des mobilisations contre le mariage pour tous à l’élection de François Fillon à la Primaire de la droite et du centre, en passant par les réticences face à l’afflux des migrants, la panique identitaire consécutive aux attentats, le renouveau de la cause des chrétiens d’Orient, l’auteur revient sur quatre années qui ont certes signé un renouveau du catholicisme, mais qui ont aussi prouvé sa perte d’influence dans notre pays.
Célèbre pour ses analyses et l’acuité de son jugement, Jérôme Fourquet livre une analyse sans concession d un monde qui craint de disparaître, mais qui n’a pas dit son dernier mot !

 

Dans votre livre, vous décrivez une «érosion démographique» des catholiques. Comment l’expliquer?

 Jérôme Fourquet.- Les facteurs de ce déclin sont assez complexes, mais ce qui est sûr, c’est que les jeunes générations de catholiques évoluent actuellement dans un contexte très différent de celui qu’ont connu leurs aînés. L’IFOP a enregistré ce déclin au travers de ses enquêtes, puisque notre institut existe depuis près de quatre-vingts ans. Avant Vatican 2, concile qui s’est tenu de 1962 à 1965, un Français sur trois allait encore à la messe. Aujourd’hui, il n’y a plus que 6 % de la population qui s’y rend encore tous les dimanches. Un tel déclin en à peine cinquante ans est totalement inédit! Surtout, il touche toutes les catégories de la population. Les cathos d’aujourd’hui vivent dans une société très largement déchristianisée. Ce contexte défavorable n’est sans doute pas pour rien dans ce que j’appelle le «repli identitaire» que l’on mesure dans une partie de la France catholique.

Parlons-en, justement: parmi ceux qui ont voté au second tour, 4 catholiques sur 10 ont choisi Marine Le Pen. Est-ce le signe d’une droitisation des catholiques?

Avant même le second tour de la présidentielle, 46 % des catholiques avaient voté pour François Fillon au premier tour, 15 % pour Marine Le Pen et 4 % pour Nicolas Dupont-Aignan. Le centre de gravité de l’électorat catholique s’est donc nettement droitisé. Mais la configuration électorale du second tour était inédite: contrairement à 2002, le Front National n’était plus opposé à un candidat de droite, et de nombreux catholiques se retrouvaient orphelins de candidat pour le second tour. Pour autant, rien n’obligeait ces personnes à reporter leurs voix sur Marine Le Pen, et pourtant nombre d’entre eux l’ont fait. En 2002, au deuxième tour, seuls 17 % des catholiques avaient voté pour Jean-Marie Le Pen, tandis que sa fille a obtenu les voix de 38 % d’entre eux.(…)

Et aujourd’hui, comment les catholiques se positionnent-ils face à Emmanuel Macron?

Les catholiques ne constituent pas un bloc homogène, loin s’en faut. Il est difficile de les ranger dans des compartiments étanches, et il faut prendre en compte d’autres variables sociologiques (comme les catégories socioprofessionnelles par exemple) qui nous interdisent de parler d’un «vote catholique», comme s’il y avait un consensus politique fort entre eux. Si le centre de gravité des catholiques penche à droite, des courants plus modérés existent encore parmi les catholiques.

Néanmoins, une fois cette précaution prise, je constate par exemple que de nombreux catholiques de droite sont en désaccord avec leur président sur des sujets comme l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes: deux tiers des catholiques pratiquants sont contre. Mais l’actuel président a également des atouts pour séduire un certain nombre de catholiques!

Sur son projet réformiste et libéral, par exemple?

Je pense que les catholiques ne se retrouvent pas tous dans le discours que peut tenir Emmanuel Macron sur l’économie et la réussite personnelle. Quand le président souhaite publiquement que des jeunes Français «aient envie de devenir milliardaires», les catholiques peuvent s’irriter: la société des «premiers de cordée» n’est pas conforme à la relation qu’ont les catholiques avec l’argent, qui n’est pas leur alpha et leur oméga.

En revanche, Macron gagne des points chez les catholiques sur des thématiques comme le retour aux fondamentaux à l’école ou encore le contrôle aux frontières tout en sanctuarisant le droit d’asile auxquels ils sont attachés. Surtout, les catholiques sont nombreux à être sensibles à la politique de concorde nationale qu’ambitionne le président, ce fameux «à la fois de gauche et de droite» qui en fait le digne héritier de la démocratie chrétienne. D’ailleurs, ce courant politique était incarné par François Bayrou, qui a fait alliance avec Macron lors de la campagne présidentielle.

Dans l’hypothèse où Macron persiste à vouloir légiférer sur la PMA, Macron est-il à l’abri d’un mouvement social de grande ampleur comme l’a été La Manif Pour Tous en 2012-2013?

Voilà cinq ans, La Manif Pour Tous a surpris absolument tout le monde. Nul ne s’attendait à une mobilisation aussi longue et aussi importante. Il faut donc être prudent en matière de pronostics! Cependant, aujourd’hui, la donne n’est plus la même. Hollande avait cristallisé contre lui toutes les oppositions, en envoyant d’abord au front des ministres qui ont fait figure de repoussoir, mais aussi en rajoutant de l’huile sur le feu, tant dans le discours (en assimilant les anti-mariage pour tous à des réactionnaires homophobes) que dans la répression policière des manifestants, dont plusieurs d’entre eux ont même été incarcérés. Macron, lui, n’est pas un président de gauche: il gouverne avec une coalition qui rassemble aussi des personnalités de droite. Et certains de ses propos, notamment lorsqu’il a déclaré que les opposants au mariage homosexuel ont été «humiliés», laissent supposer qu’il ne prendra pas le risque d’être aussi abrupt à leur encontre que son prédécesseur.(…)

Vous estimez également qu’il y a eu un changement dans la perception qu’ont les catholiques de l’islam?

Même si on ne peut jamais dater précisément un tel changement, il semble que l’assassinat du Père Hamel dans son église de Saint-Etienne-du-Rouvray ait cristallisé cette évolution. On observait déjà un bruit de fond auparavant: les agressions sexuelles survenues à Cologne, les attentats terroristes ou encore les meurtres de populations chrétiennes commis par Daesh ont provoqué un raidissement des catholiques sur la question de l’islam. Puis dans un second temps, les catholiques ont progressivement pris conscience qu’ils étaient minoritaires dans leur propre pays. En face, une population musulmane cohabite désormais avec eux sur un territoire qui a de plus en plus de mal à revendiquer ses racines chrétiennes.. (…)

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