En ce printemps 2017, s’offre une riche actualité autour d’Alexandre Vialatte. Qui mieux que Jérôme Trollet, président de l’association des amis d’Alexandre Vialatte, pouvait nous la présenter ?
— Vous êtes un grand connaisseur et un lecteur enthousiaste de Vialatte. Comment l’avez-vous découvert ? Qu’est-ce qui vous a « accroché » d’emblée chez lui ?
— J’ai abordé l’œuvre de Vialatte en achetant un recueil de ses chroniques, Dernières nouvelles de l’homme, paru chez Julliard en 1978, dans une librairie du boulevard Saint-Germain. Je n’avais pas spécialement la fibre associative, mais j’ai été si charmé que j’ai envoyé le petit bulletin qu’il comprenait au milieu de ses pages à Ferny Besson, créatrice de l’association des amis de Vialatte. C’est ainsi que l’aventure a commencé. J’ai rencontré cette vieille dame, qui avait été une muse d’Alexandre Vialatte : leur correspondance constitue plus de 2 000 lettres, dont 200 ont été publiées chez Plon. Ferny m’a adoubé plus tard comme président de l’association, autour d’une table, dans son atelier rue des Plantes, en présence de Pierre Vialatte, bien sûr, le fils de l’écrivain, de Jean Dutourd, etc. Et, depuis, je suis passionné par le souvenir, l’œuvre et le « faire connaître » d’Alexandre Vialatte.
— Imaginons – même si c’est difficile – des lecteurs n’ayant jamais entendu parler de Vialatte. Comment le leur présentez-vous ?
— Né en 1901, mort en 1971, Vialatte a cet intérêt extraordinaire sur le plan littéraire qu’il a plusieurs aspects : traducteur tout d’abord, possesseur d’une licence d’allemand et travaillant en Allemagne de 1922 à 1927, il a plongé dans le monde de la littérature allemande. Il a donc traduit, tout au long de sa vie, Goethe, Hugo von Hofmannsthal, etc. et découvert Kafka en 1927, pour l’œuvre duquel il a eu un véritable coup de foudre.
Vialatte romancier, ensuite : son premier roman, Battling le ténébreux, sur les rêves de jeunes adolescents et leur romantisme, dans la lignée du Grand Meaulnes ou de Fermina Marquez, est publié par Paulhan à la NRF en 1928. Pendant la Deuxième Guerre, il écrit un roman très kafkaïen, très sombre, Le Fidèle Berger puis, plus tard, Les Fruits du Congo… qui viendra en deuxième place, hélas ! et ne remportera pas le prix Goncourt en 1951, attribué à Julien Gracq, qui avait pourtant prévenu qu’il ne l’accepterait pas.
— C’est alors qu’il se consacre à une carrière de chroniqueur ?
— Effectivement, le journal La Montagne lui demande une chronique hebdomadaire à partir des années 50, et il en écrit pour le journal 901 au cours du temps. La chronique est sans doute pour lui, au départ, un pis-aller – il doit bien gagner sa vie et celle de sa famille – mais il se révèle un chroniqueur hors pair. Il en donne une centaine dans Spectacle du Monde, il écrit dans Marie-Claire, Le Petit Dauphinois, La Nation française, on a même retrouvé des textes de lui dans Témoignage chrétien !
La chronique est un genre extrêmement difficile, mais il y excelle. Il ramasse quelques idées, en tire des leçons générales sur la création du monde, la gastronomie du loup, le rôle de la mère de famille « qui date de la plus haute Antiquité », que sais-je ? et vous êtes complètement pris… Mais n’oubliez pas le conseil d’Obaldia dans une des préfaces aux recueils de chroniques : « N’abusez pas de la dose prescrite », car il faut savoir goûter les bons textes.
— Vous parlez des préfaces aux recueils, les noms des auteurs en disent beaucoup…
— Effectivement, on y trouve René de Obladia, donc, mais aussi Jacques Perret, Jacques Laurent, Jean Dutourd, Claude Duneton… J’ajoute que, dans les chroniques, certaines ont été dédiées au cinéma, d’autres sont plus littéraires. Vialatte a une critique très « empathique », il recommande chaleureusement les œuvres dont il parle. Mais dans La Montagne notamment, il peut donner libre cours à son imagination et à sa fantaisie. On peut réellement dire de lui qu’il est « le saint patron des chroniqueurs ».
— Vialatte a écrit qu’il fallait choisir, comprendre ou s’émerveiller…
— Son choix est clair : quant à lui, il s’émerveille, et nous émerveille !
Un nouveau concept
L’hôtel littéraire
— Jérôme Trollet, vous qui en avez suivi le projet et la mise en œuvre, parlez-nous de ce curieux hôtel qui vient de s’ouvrir à Clermont-Ferrand, l’hôtel littéraire Alexandre-Vialatte ?
— La notion d’hôtel littéraire a été inventée par Jacques Letertre, un hôtelier qui a déjà créé il y a quelques années l’hôtel Swann, rue de Constantinople à Paris, consacré à Proust comme vous vous en doutez puis, plus récemment, l’hôtel Flaubert, à Rouen. Il nous a contactés il y a maintenant deux ans pour inaugurer, en octobre dernier, l’hôtel littéraire Alexandre-Vialatte à Clermont-Ferrand place Delille, une des deux grandes places de Clermont.
L’hôtel possède une cinquantaine de chambres et une vue splendide au dernier étage sur les toits du vieux Clermont, d’où émergent les flèches de la cathédrale, noires, en pierre de lave, et celles de Sainte-Marie du Mont. Chaque étage est consacré soit à des amis, soit à des chroniques, soit à des traductions, soit à des personnages de romans de Vialatte, soit à l’Auvergne proprement dite. Chaque chambre est ornée d’un dessin qui illustre son nom, ainsi que de la reproduction d’une page d’un manuscrit. C’est un régal ! Jacques Letertre propose à ses clients de prendre un livre – une bibliothèque est à leur disposition – et, s’ils ne l’ont pas terminé, ils peuvent le glisser dans leur valise… Ce qu’il aime, c’est partager « les mêmes émotions, les mêmes sourires qui viennent du fait d’avoir un jardin secret plein de bœufs ailés, d’Auvergnats dévoreurs de saucissons et de girafes aux cils de demoiselles ».
— Jacques Letertre a-t-il d’autres projets dans le même genre ?
— Je crois que le prochain hôtel littéraire que compte ouvrir Jacques est l’hôtel Marcel Aymé, à Paris.
- Hôtel littéraire Alexandre-Vialatte, 16 place Delille, 63 000 Clermont-Ferrand, tél : 04 73 91 92 06.
— Dans la collection Bouquins, vient de paraître un fort volume de plus de 1 300 pages auquel vous avez participé, Jérôme Trollet. Dans la même collection ont déjà été édités deux tomes des chroniques de La Montagne. Que contient celui-ci ?
— Ce volume répond à un rêve que nous nourrissions, Pierre Vialatte et moi : pouvoir publier l’intégralité des chroniques de Spectacle du Monde. Certaines avaient déjà été reprises, mais jamais les 98 toutes ensemble. Mais cela n’était pas suffisant pour donner matière à un volume de la collection Bouquins. Nous y avons donc repris certains textes publiés chez Julliard, ainsi que quelques-uns des Cahiers publiés par l’association, qui n’avaient été lus que par ses membres et qui pouvaient fortement intéresser de nouveaux lecteurs. Le tout a donné ce magnifique recueil, pour lequel nous avons cherché un titre : pour plus de 1 300 pages, nous n’avons pas trouvé mieux que Résumons-nous ! C’est une expression qu’utilise souvent Alexandre Vialatte pour conclure une digression.
Alexandre Vialatte, Résumons-nous, préface de Pierre Jourde, présentations de Jérôme Trollet, coll. Bouquins, éd. Robert Laffont, 1 326 pages, 32 euros.
Adhérer à l’association
— Venons-en à l’association des amis d’Alexandre Vialatte, que vous présidez. Quand s’est-elle créée ? Quels sont ses buts ? Quels en ont été les premiers membres ? Et surtout, parlez-nous de ce nouvel élément qui fait partie de l’actualité Vialatte de ce mois d’avril 2017, la parution du dernier Cahier.
— Cette association doit tout à Ferny Besson, créée par elle un an après la mort de Vialatte, avec bien sûr son fils, Pierre Vialatte, Jean Dutourd, André Chamson, Jules Romains etc. Cette association a pour but de faire connaître l’œuvre de Vialatte, purement et simplement. Elle a, dès l’année 1974, publié son premier Cahier.
— Vous parlez modestement de « Cahier », mais il s’agit en fait d’un très beau petit livre…
— Oui, qui a toujours gardé le même format. Celui de cette année, le numéro 42, est consacré à Henri Pourrat, avec un clin d’œil au numéro 2 qui, déjà, reprenait des lettres d’Henri Pourrat. Pourrat a été le mentor de Vialatte, son père littéraire en quelque sorte.
L’association comprend environ 250 amis, dont 150 sont très actifs. La moyenne d’âge a tendance à augmenter chaque année d’un an… mais, à côté de cela, un jeune membre, Alain Allemand, patron de collège à Strasbourg, dessinateur, féru de littérature, a créé un groupe d’amis sur Facebook, qui vient d’enregistrer, au bout de deux ans d’existence, son millième « ami ». Alain Allemand a publié chez Julliard, fin 2016, un Abécédaire pour les amoureux de Vialatte, et en publiera un autre l’année prochaine, avec ses dessins.
L’association, très active, favorise des thèses, des éditions, organise des expositions, comme à la mairie du VIe arrondissement l’année dernière, reprise ensuite à Ambert et à Chamalières, des spectacles…
— N’y a-t-il pas un autre élément qu’il faut que nous évoquions, le don à la bibliothèque Jacques-Doucet ?
— Bien sûr, et je signale que nous le devons là encore à Jacques Letertre, amoureux, comme vous l’avez compris, de livres et de littérature. Cette bibliothèque réunie par le grand couturier est située aujourd’hui place du Panthéon, juste à côté de la bibliothèque Sainte-Geneviève. Elle est devenue un grand nom des archives de fonds littéraire. Pierre Vialatte, qui a classé avec minutie, depuis la mort de son père, un mur entier d’archives, de manuscrits, d’épreuves, de tapuscrits, de correspondance, de photos, de vidéos etc. a tout confié à la bibliothèque Jacques-Doucet, qui en assure la numérisation. Il s’agit d’un fonds intégral, ce qui est extraordinaire.
— C’est merveilleux pour les chercheurs qui voudront travailler sur l’œuvre d’Alexandre Vialatte ?
— Absolument ! J’ajoute que le journal La Montagne a réactivé un prix Vialatte, décerné sous la houlette d’un écrivain (Denis Tillinac, François Taillandier…) et attribué tous les ans. Cette année ce fut le 6 avril, Eric Neuhoff présidait et le prix a été remis à Eric Vuillard pour son roman 14 juillet.
- Association des amis d’Alexandre Vialatte, 11 rue d’Assas, 75 006 Paris. Tél : 01 42 22 82 25 ou 06 07 94 38 88. Courriel : [email protected] Site : www.amisdevialatte.blogspot.fr
Vidéo: 16 fevrier 1969, sous l’oeil attentif et amusé d’Alexandre VIALATTE, Jacques DUFILHO interprète un de ses textes “Le paysan prisonnier”.