Par Alain Sanders
Depuis des années, on répète à l’envi la réponse que Camus aurait faite à un jeune fanatique (sans doute en service commandé), Saïd Kessal, venu l’interpeller sur l’Algérie dans un amphithéâtre de l’université de Stockholm (nous sommes le 12 décembre 1957 et, deux heures plus tôt, Camus a reçu le prix Nobel de littérature) : « Je crois à la justice, mais je préfère ma mère à la justice. »
Voilà, en fait, ce qu’il a dit : « A l’heure où nous parlons, on jette des bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans l’un de ces tramways. Si c’est cela la justice, je préfère ma mère. »
Partant de la citation tronquée – et de la haine qu’elle valut à Camus de la part de ses supposés amis cocos germanopratins – Jean Monneret signe, avec Camus et le terrorisme, un remarquable essai, comme une fenêtre ouverte en ces temps où l’on est abreuvé d’articles et de livres gauchardingues (Benjamin Stora étant, là encore, le plus imbuvablement récupérateur) sur l’auteur de L’Homme révolté.
Monneret indique d’entrée de jeu : « Camus se garda toujours de la moindre complaisance envers la terreur, qu’elle fût d’Etat ou révolutionnaire. Il évita, de même, toute compromission avec ses méthodes et ses hommes. »
Il est bien, au milieu de ce déferlement autour de Camus (avec parfois de bonnes surprises, comme un article intelligent de Michel Onfray assez récemment) d’avoir cet essai qui dit enfin « quelque chose ». Fils de pauvre, d’origine modeste (comme l’écrasante majorité des pieds-noirs), porte-parole de ceux que l’on privait de parole (ce qui lui valut la haine de Simone de Beauvoir, de Sartre, de Bernard Franck, de Beuve-Méry, etc.), Camus était de chez nous. De là-bas. Celui qui, dans une note pour Le Premier Homme, écrivait – et, disant cela, il disait tout : « En somme, je vais parler de ceux que j’aimais. »
• Editions Michalon.