Philippe (NDLR : prénom d’emprunt) , est policier, depuis une dizaine d’années, dans le Finistère. Lorsque nous l’avons rencontré, il ne souhaitait pas répondre à nos questions, puis après négociation, il a fini par accepter, sous couvert d’anonymat total : « il n y a pas de raison que je prenne pour tout le monde, personne n’ose dire les choses ». Edifiant.
De prime abord, nous l’avons interrogé sur la relation qu’ont les policiers avec la presse : « Souvent, on accuse la presse de ne pas tout raconter au public, ou de déformer les choses. Mais il faut aussi savoir que le premier filtre, c’est au sein de la police ou de la gendarmerie. Les interlocuteurs, y compris les syndicalistes policiers, ne disent pas tout, parfois à raison sous couvert d’enquête en cours, parfois à tort, pour ne pas faire de vagues ou ne pas permettre d’amalgames ».
Il reconnait toutefois également que « au sein des gros journaux il y a forcément des consignes pour ne pas donner les profils de certains délinquants, parce que quand on lit certains articles, on hallucine des précautions inutiles de langage qui sont prises alors qu’ils ont tous les éléments ». Il évoque enfin l’importance des médias « hors-système » : « c’est à vous et aux médias comme vous qu’il faut envoyer l’information aujourd’hui puisque les autres ne disent pas tout ; dans les commissariats, beaucoup vous lisent, et tout le monde sait très bien que vos sites sont disposés à sortir des choses que les autres ne font pas, car vous êtes indépendants ».
On évoque ensuite la situation à Calais : « une poudrière avec des collègues totalement à bout. Ca ne peut que mal finir. Mais là encore, c’est le silence total dans la police. Il n y en a pas un pour contester alors qu’au sein de la base, beaucoup ont l’impression de n’être que des pions au service d’un gouvernement qui change tout le temps. Je suis pas rentré dans la police pour servir un gouvernement mais pour contribuer à maintenir l’ordre, y compris par la force au service de mon peuple, dans mon pays. Il y a beaucoup de grandes gueules qui parlent de grève, mais ça ne va pas plus loin que quelques tracts et un mouvement de colère corporatiste.».
Pour ce policier, le « devoir de réserve n’a plus aucun sens aujourd’hui. Tout le monde nous crache dessus. Vous avez vu ce qu’on prend dans la tronche tous les jours ? A Brest, même une petite frappe de 13 ans peut venir nous insulter et nous menacer sans être inquiété. Dans n’importe quel autre pays où l’ordre est respecté, il se serait pris à minimum une trempe monstrueuse et sinon une ou deux journées de garde à vue dans un cachot, au pain et à l’eau, avec dans le même temps la fin des allocations pour ses parents. Première et dernière connerie.» .
Philippe, frustré, désabusé après à peine dix années de bons et loyaux services dans la Police nationale, envisage de démisssionner : « il n y a pas 50 000 solutions. Soit tous ensemble, nous policiers, nous réagissons, quitte à remettre en cause notre hiérarchie la plus haute, soit nous n’avons plus rien à faire ici ; à la base, nous sommes censés être au service de la sécurité et de la paix publique, c’est à dire protéger nos compatriotes. On a un gouvernement qui nous demande de faire de la prévention et surtout pas de vagues, et une justice qui bousille le travail des collègues. Donc on fait tout sauf assurer la sécurité des compatriotes. Je ne comprends plus ce respect de la hiérarchie dont parlent certains de mes collègues. Nous ne sommes pas là pour cirer les pompes à un Ministre ou à un Préfet, mais pour agir dans la rue et mettre hors d’état de nuire toutes les petites frappes qui agressent, dealent, volent de façon exponentielle. ».
Quand on lui rappelle que lui aussi tient à garder l’anonymat, et qu’il n’est donc « pas mieux » que les collègues dont il dit « qu’une bonne partie pense comme lui », voici sa réponse : « vous avez vu l’affaire Jallamion (NDLR : Un policier suspendu sans solde par sa hiérarchie pour avoir simplement diffuser une photo d’un islamiste sur facebook afin de le dénoncer) ? Bon, et bien moi j’ai une famille, des gamins, et je ne vais pas me jeter en première ligne la tête la première pour me faire rattraper par la patrouille. Entre les suicides de collègues, les conditions de travail déplorables, le sentiment que la justice se f… de notre gueule, et l’impunité presque totale pour toute la racaille de ce pays, un jour ou l’autre, on va de toute façon se poser dans les commissariats, et refuser d’aller emmerder un tel pour une nuisance sonore, un tel pour un excès de vitesse ou une alcoolémie trop chargée. Et là, les dirigeants, de droite comme de gauche, devront nous écouter, nous la base, et pas la hiérarchie à la recherche de prestige personnel: soit on fait le ménage dans nos villes et pour nos compatriotes, et la justice collabore avec nous et avec fermeté. Soit il faudra envoyer d’autres personnes faire le sale boulot. Mais le peuple finira par se révolter dans ce cas-là, et personnellement, je pense qu’il aura raison ».
Particulièrement cinglant. Avant d’aller reprendre son service de nuit, Philippe nous confie : « c’est dingue de ce dire que même chez nous, dans le Finistère, ça devient ingérable. Et encore , je crois que je plains plus que nous les collègues de Nantes ou même de Rennes. » Avant de lâcher : « ce qui nous fait tenir, c’est la solidarité entre nous. Quand je suis rentré dans la police, j’étais particulièrement fier de pouvoir protéger mon pays comme cela. Maintenant, quand je vois comment la police est respectée, crainte et efficace aux Etats-Unis, en Angleterre, dans d’autres pays qui nous entoure, je me dis qu’il y a vraiment un problème en France ».