Elle appartient à la lignée de ces étoiles filantes dont la trace incandescente montre aux Terriens le chemin du Ciel. Comme ses aînées, Bernadette Soubirous (1844-1879) et Thérèse de Lisieux (1873-1897), Elisabeth de la Trinité (1880-1906) s’est consumée en si peu d’années qu’un simple biographe devrait « tirer à la ligne » là où son hagiographe trouve une matière essentielle : la maigreur des événements de sa vie est en effet largement compensée par le feu intérieur qui l’habite et la dévore. C’est un brasier d’amour devenu sa raison d’être…et de mourir, quand l’âme éperdue n’a « plus de grands désirs, si ce n’est celui d’aimer jusqu’à mourir d’amour », comme l’avait confié Thérèse de l’Enfant Jésus, cette grande sœur carmélite que la jeune Elisabeth admirait tant, sans l’avoir jamais rencontrée. Elle aussi voudra poursuivre sa mission dans l’au-delà : « Il me semble qu’au Ciel ma mission sera d’attirer les âmes en les aidant à sortir d’elles pour adhérer à Dieu dans un mouvement tout simple et tout amoureux… »
Un tempérament volcanique
Spécialiste des mystiques castillans sainte Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix et, plus près de nous, d’Édith Stein (sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix), Bernard Sesé a en quelque sorte apprivoisé ce feu pour s’en approcher, tel un vulcanologue. Suivons le jusqu’ au bord du cratère grâce à cette « petite vie » heureusement rééditée à l’occasion de cette canonisation par le pape François, ce dimanche 16 octobre, 110 ans après la mort de la jeune carmélite. C’était à l’aube du vendredi 9 novembre 1906, au terme d’une agonie particulièrement cruelle et, en même temps, extraordinairement sereine qui la configurait au Christ en croix.
Très tôt, dès l’âge de 7 ans, Élisabeth Catez se sait « habitée au plus intime d’elle-même par la présence du Père, du Fils et de l’Esprit, en qui elle reconnaît la réalité de l’amour infiniment vivant » dira le saint pape Jean Paul II lors de la béatification, le 25 octobre 1984. Qu’on n’imagine pas pour autant une angélique petite fille, une sainte déjà dans sa niche ! Elisabeth est un caractère…volcanique et enjoué. C’est une surdouée, une virtuose du moins car ses dons poétiques sont moins convaincants que ceux de Thérèse de Lisieux. Pianiste, elle sera premier prix du Conservatoire de Dijon – suivie peu de temps après dans cette consécration artistique par « Guite » (Marguerite), sa sœur cadette à laquelle l’unissait une tendre complicité. Celle-ci témoignera : « Elisabeth avait un caractère violent et emporté, mais elle est arrivée à une douceur angélique à force de lutte contre elle-même. Je me la rappelle toute petite ayant de vrais accès de colère, criant, trépignant… » C’est aussi à 7 ans qu’Élisabeth connaît la terrible épreuve de la mort du père : victime d’une crise cardiaque, Joseph Catez, qui venait de prendre sa retraite d’officier, meurt dans ses bras ! La scène se passe au domicile familial, à Dijon, la ville qui sera le théâtre quasi exclusif de la vie fulgurante d’Élisabeth, d’abord entre sa mère et sa sœur, puis entre les murs du carmel voisin qu’elle aura contemplés avec envie, comme « un Ciel anticipé », avant de pouvoir y être accueillie.
Certaine de sa vocation depuis l’enfance
Trois femmes, une veuve et ses deux filles confrontées à la pauvreté, puis la communauté des carmélites, est-ce une vie bien équilibrée ? On aurait tort, en tout cas, d’imaginer « un fleuve tranquille ». Enfant puis jeune fille, Élisabeth vit « à fond », sans mépriser les fêtes qu’elle anime souvent de son talent de pianiste. Elle sait se montrer coquette, jouant le jeu que la société attend d’une jeune fille bien éduquée mais nullement « coincée ». Elle aime la nature, les évasions, les vacances dans les Vosges, le Jura, le Midi, tout en sachant que cela n’aura qu’un temps : la certitude de la vocation à la vie consacrée ne l’a jamais abandonnée depuis son enfance (elle s’en était ouverte dès 1888 au curé de sa paroisse de vacances et avait fait un vœu privé de virginité perpétuelle en 1894, à 14 ans). Un autre amour l’appelle, une attirance de plus en plus impérieuse qu’elle confie à son journal intime et à ses poèmes (nombreuses citations dans ce livre).
« Je vais à la Lumière, à l’Amour, à la Vie »
Élisabeth devra batailler dur contre sa mère qui rêvait d’un « beau parti » pour sa fille et se faire violence pour s’arracher à l’affection presque fusionnelle qui unissait les trois femmes en entrant au Carmel. Elle fut aussi plongée dans une époque où le combat entre l’Église et l’État atteignait un paroxysme avec le ministère d’Émile Combes (1902) qui faisait craindre un retour de la Terreur, un siècle après la Révolution. Alors que se déroulaient les expulsions de la plupart des ordres religieux, les carmélites de Dijon se préparaient au martyre en faisant mémoire de celui des carmélites de Compiègne (1794), un martyre qu’Élisabeth était des plus ardentes à désirer ! Celui qui lui fut accordé fut plus long et douloureux. Alors que sa santé paraissait jusque-là sans problème, elle fut, dit-elle, « brisée dans tout son être » par une affection implacable et extrêmement douloureuse (la maladie d’Addison, alors incurable), quatre ans après son entrée au Carmel. Elle avait eu très tôt l’intuition d’une telle épreuve. Elle la vécut avec gravité mais dans la joie de l’amoureuse partageant le sort du Bien-Aimé : « Si vous saviez quel bonheur ineffable goûte mon âme en pensant que le Père m’a présentée pour être conforme à son Fils crucifié … ». « Je vais à la Lumière, à l’Amour, à la Vie ». C’est cette trajectoire lumineuse couronnée par cette offrande suprême que l’Église, dimanche 16 octobre, proposera à la vénération des fidèles du monde entier.
Elisabeth de la Trinité par Bernard Sesé, collection « Petite vie », Artège poche, 190 pages, 9,90 euros.