Installée dans notre paysage mental depuis des générations, la beauté de nos monuments et clochers nous échappe parfois. Elle fascine pourtant les millions de touristes du nouveau monde et d’ailleurs, questionnés en profondeur sur l’extraordinaire présence de cet héritage de pierres.
Nos églises romanes en sont l’illustration parfaite. Modèles d’équilibre et de sobriété, souvent posées dans des écrins de nature magnifique, du Lubéron au Bordelais, où les guerres, bombes et révolutions les ont épargnées. C’est la découverte de cette France que nous compte Tomàs Turner à travers son roman Le Voyage de Mortimer.
Il est roman par l’écriture et Roman par le thème. Fin observateur de nos églises romanes et visiblement passionné de symbolisme, l’auteur nous promène à travers la France avec l’œil d’un touriste américain vierge de toute référence culturelle. Persuadé avant son départ que, si le fromage français n’est pas vendu aux USA, c’est qu’il est quelque part contraire à la Constitution, Mortimer est cependant curieux de tout, tels ces voyageurs sans but qui laissent le hasard des rencontres les mener vers des destinations de circonstances. Mais toujours le hasard se mêle au destin et notre Yankee se forge une connaissance et éveille sa curiosité aux Mélusines et autres sculptures de nos églises. Grâce à ses discussions, il apprend à déceler le sens des œuvres des anciens compagnons et ces observations lui servent à mieux se connaître lui-même.
Il comprend que le monde est aussi sous-terrain et cosmique, que s’y mêlent hommes, anges et démons. Nos églises sont des portes et la France rurale est un parcours initiatique. Comme Stevenson, il ne sait dire « quel est le moment qu’il goûte le plus, celui où il met sac au dos ou celui où il le met à terre ». Déambulant dans nos campagnes, Mortimer échange avec des personnages imaginaires qui sont en réalité les témoins d’un temps passé tel le Grand Meaulnes. De l’Indien dans le canyon américain à la mystérieuse damoiselle en passant par un pâtre, le diable et l’Ankou, la galerie est celle de nos légendes. Mais aussi des personnages bien réels tel ce paysan estimant que « les fonctionnaires sont pires que les plus retors des curés. Faut tout déclarer, même ce que tu n’as pas encore fait, mais que tu envisages de faire et que tu ne feras peut-être pas car tu n’en auras pas l’autorisation ».
On peut (et l’on doit) se demander à la lecture du parcours de cet homme du siècle mal dans sa peau et en quête d’identité si la seule ordonnance que devraient avoir le droit de délivrer les psychologues ne serait pas une paire de chaussures de randonnée.
Sigisbert Clément -Présent
- Tomàs Turner, Le Voyage de Mortimer, Editions Balland, 20 euros, 2017.