Dans un passionnant livre de souvenirs (Paris-Montpellier, PC-PSU, 1945-1963), l’historien Emmanuel Leroy-Ladurie racontait son parcours de brillant normalien passé, à 16 ans et en culottes courtes, d’un provincial pensionnat religieux aux amphis de la rue d’Ulm. Pris dans les serres du PCF, basculant d’une religion dans l’autre, il était impossible d’y échapper : toute l’Université, tout le monde intellectuel chantaient alors la gloire du camarade Staline.
Soixante-dix ans ont passé. Staline est mort. Mao également. Pol Pot aussi. Les économies socialistes se sont toutes effondrées, la Chine a inventé le capitalisme rouge… Et l’Université française ? Elle n’a pas bougé. Elle est toujours un indéboulonnable bastion de la pensée socialo-étatiste. Je dirais bien nationale-socialiste, mais ce serait mal interprété. La France est, dans l’esprit de ses élites, le dernier pays foncièrement communiste de la planète.
L’Université est son clergé, les profs ses curés.
Un « politiste », Raul Magni-Berton, et un économiste, Abel François, se sont penchés sur ce phénomène hexagonal. Leur livre Que pensent les penseurs ? est ainsi le résultat d’une enquête sociologique fouillée sur le milieu universitaire auquel eux-mêmes appartiennent. Ils ont interrogé 1.500 enseignants-chercheurs de toutes les disciplines, leur soumettant 71 questions dont les réponses permettent de cerner précisément « l’univers des valeurs des universitaires français ».
Ceux-ci « se caractérisent par une croyance au pouvoir de la science pour comprendre le monde, une défiance très forte vis-à-vis de l’économie de marché, un positionnement politique bien plus à gauche que la moyenne et un niveau important d’athéisme ». Surtout, « c’est leur anticapitalisme qui les différencie le plus des Français dans leur ensemble, qui figurent déjà parmi les plus hostiles à l’économie de marché en Europe », analyse Le Point. Ainsi, ils ont « une vision négative de la concurrence (1,5 fois plus que l’ensemble de la population française), sont opposés au renforcement de la propriété des moyens de production (deux fois plus que l’ensemble) et ne croient pas en la responsabilité individuelle en matière de réussite sociale ». Ils prônent en tout domaine « l’intervention de l’État ». Attitude qui s’explique, bien sûr, par « l’appartenance des enseignants-chercheurs à la gauche (deux fois plus que les Français) qui est hégémonique dans des disciplines comme la sociologie (94 %) et qui reste forte partout, même en science économique (80 %) » ; mais plus encore par le fait que tous ces gens n’ont jamais rien connu d’autre que le statut de fonctionnaire « qui les amène à soutenir un interventionnisme plus fort en matière économique et sociale ».
Dans le dernier chapitre de l’ouvrage, les auteurs interrogent sur la réforme de l’Université. Sans surprise, on découvre que « la majorité des principaux concernés (notamment ceux qui ont les meilleurs postes) se complaisent dans l’immobilisme et le statu quo en s’opposant farouchement aux changements menés depuis une dizaine d’années ». Sans doute parce que cela contrevient à leurs idées, « mais également par le fait que ceux qui ont porté ces réformes étaient situés à droite contre une population académique massivement ancrée à gauche ».
Aimable utopiste, Guillaume Thomas, auteur de l’article sur lepoint.fr, s’interroge : « Le fait que des intellectuels médiatiques, en marge du monde académique, comme Éric Zemmour ou Michel Onfray, semblent exercer plus d’influence dans le débat public ne devrait-il justement pas conduire l’Université et son personnel à se remettre profondément en question ? »
C’est touchant de naïveté…