Villa Flora : un enchantement!

En accueillant une sélection de tableaux de la Villa Flora, le musée Marmottan-Monet permet au public français de découvrir une collection suisse de première importance, celle d’un couple : Arthur et Hedy Hahnloser.

Dans la première moitié du XXe siècle, les Hahnloser furent des amis et des mécènes de peintres suisses (Giacometti, Hodler) et français (Vallotton, Bonnard, Vuillard, Redon, Manguin…). Leur propriété de Winterthur (près de Zurich), la Villa Flora, devint au fil des ans un lieu d’échanges artistiques, et, par la qualité des acquisitions, un véritable petit musée privé. Mais le concept de musée ne convient pas, il est trop guindé. C’est bien une collection particulière, vivante, qui accompagnait Arthur et Hedy Hahnloser dans leur vie quotidienne.

Par où commencer ? Par Félix Vallotton, très présent sur les cimaises bien que l’extrême sécheresse de sa peinture tranche sur l’ensemble. Il n’y a peut-être que dans le grand et énigmatique tableau La Blanche et la Noire qu’il touche. Malgré son titre ce n’est pas un tableau de solfège, mais de cette harmonie froide se dégage une musique, moderne et prenante.

Froide aussi, mais moins léchée, est la peinture de Ferdinand Hodler. Avec Le massif de la Jungfrau, il réussit à rendre l’effet que produit un massif montagneux, à la fois pesant et presque suspendu dans la lumière, à la fois lumineux et inquiétant, à la Ramuz.

Dahlias et raisins, Pot rouge et raisins, la peinture de Giovanni Giacometti est chaude et vigoureuse. Qu’il ait été marqué par Van Gogh est une évidence. Ce peintre des Grisons aime plus que tout les couleurs expressives. Il mériterait d’être aussi connu que son fils Diego, le sculpteur.

Nabis et Fauves

Bonnard est fort bien représenté dans la collection Hahnloser. On tire une meilleure impression de l’inspiration du peintre que lors de l’exposition du musée d’Orsay (Présent du 23 mai 2015). Il passe insensiblement de la fragilité (Coquelicots et graminées) à la force (Le compotier), ou entremêle les deux (Le pot provençal). Il renferme l’espace dans des gris (Effet de glace) ou l’ouvre grand sur le mauve horizon marin (Débarcadère de Cannes).

Bonnard était un grand ami de Vuillard, mais ce dernier se laissait difficilement approcher. A défaut de nouer une amitié avec lui, les Hahnloser acquirent quelques tableaux. Il fallait de l’audace pour acheter La partie de dames à Amfreville, tableau entièrement en vue plongeante où un damier émerge de silhouettes écrasées. Vuillard est un grand peintre de la suggestion (Roses rouges et étoffes sur une table), des harmonies recherchées (Le vase bleu).

Redon est un autre magicien, dont on peine à percer les secrets. Comment obtient-il ces radiations autour d’un bouquet d’anémones ? A quoi tient ce Rêve suspendu dans l’espace ? Un autre peintre tirerait de ces idées un effet vulgaire.

Passons aux fauves. Matisse et Marquet devinrent des amis par l’entremise de Manguin. La Villa Flora apparaît dans l’œuvre de Manguin, mais aux toiles lourdes (La Flora, Le thé à la Flora) on préférera la dormeuse dans sa chaise longue qui évoque l’été sensuel et l’ombre fraîche (La sieste). Les Matisse sont peu convaincants. La Fête nationale au Havre de Marquet offre cette perspective lisible et dégagée propre à l’artiste.

Les précurseurs

Les Hahnloser, sur le conseil de leurs amis peintres, ont acheté quelques-uns des précurseurs : Manet, Cézanne, Van Gogh, Renoir. Mais cela est resté marginal, d’une part parce que ces peintres étaient cotés haut, d’autre part parce que, consciemment, l’axe de leur collection était celui de la peinture moderne contemporaine. Cependant, là encore, pas question d’accrocher chez soi des toiles inférieures, qu’il s’agisse d’un petit autoportrait de Cézanne ou d’un grand paysage de Van Gogh. Un semeur dans un champ écrasé par le soleil comme il en peignit en 1888, mais dans ce tableau le ciel est réduit à une mince bande agrémentée de collines, d’arbres et de fabriques. Seul au monde, ce semeur est-il un autoportrait déguisé ?

*

* *

Une collection peut avoir comme défauts d’être éclectique, de regrouper des toiles faibles. Rien de tel en ce qui concerne la collection Hahnloser. Des peintres variés, multiples, mais une profonde unité de l’ensemble (sans faire abstraction de la dissonance Vallotton), qui donne à respirer l’atmosphère de la Villa Flora, à partager les goûts et les amitiés de ses propriétaires ; des chefs-d’œuvre, des toiles fortes qui ne sont pas là par hasard, ni par lucre ou goût de l’amas, mais le fruit d’un discernement médité, d’un goût développé. Dans cette atmosphère intimiste et artistique on s’attend à trouver Rainer Maria Rilke devant l’un des tableaux, un carnet de notes à la main.

Villa Flora, les temps enchantés. Chefs-d’œuvre de la collection Arthur et Hedy Hahnloser. Jusqu’au 7 février 2016, musée Marmottan-Monet.

Édouard Vuillard. Le Vase bleu. Vers 1932, huile sur bois, 35 x 27 cm. Collection particulière, Villa Flora, Winterthur. © Collection particulière, Villa Flora, Winterthur. Photo Reto Pedrini, Zürich

Lu dans Présent

Related Articles