La romancière Anne Bragance est montée de ses Cévennes pour rencontrer Christiane Taubira : elle voulait lui faire part d’une idée de génie pour sortir les taulards de leurs cellules.
L’« écrivaine », donc, excitée comme une dame patronnesse venant distribuer aux pauvres les petits chaussons tricotés au coin du feu, a raconté au Nouvel Obsle pèlerinage qui l’a conduite de la gare d’Avignon aux bureaux de la Place Vendôme. À côté, l’épopée de Gilgamesh n’est que du pipi de chat.
Le problème, avec les romancières, surtout quand elles ont derrière elles une longue carrière de conteuses, c’est qu’elles finissent par prendre leurs rêves pour la réalité. Celui de madame Bragance a pris corps devant la télé. C’est elle qui raconte : « Mon roman en cours d’écriture piétine, je me sens tellement vacante et malheureuse en cet après-midi de décembre 2013 que, si peu téléspectatrice que je sois, j’allume le téléviseur. Arte propose un documentaire sur la prison de Catanduvas, au Brésil, et pour moi c’est aussitôt le ravissement car on propose aux détenus la “rédemption par la lecture” depuis 2009. »
La rédemption par la lecture, la belle idée ! Voilà donc notre ravie qui se met en tête de transposer la chose aux prisons françaises : « La méthode consiste à donner un livre en début de mois à celui qui le souhaite : s’il fournit un résumé après lecture, il obtient quatre jours de remise de peine. Au bout d’un an, il aura gagné quarante-huit jours et pour certains qui ont écopé de longues peines, au bout de trente ans, ce sera presque quatre années de liberté ! » C’est sûr, la voilà, la solution à la surpopulation carcérale ! Comment n’y avait-on pas pensé plus tôt ?
« Je suis aux anges car le salut par la lecture est mon credo », poursuit Anne Bragance. Ben tiens. Surtout dans des prisons dont la population se recrute en majorité chez les 20 % d’illettrés que compte notre système scolaire… Elle obtient audience. Voit les conseillers du ministre, puis Taubira soi-même. Qui l’embrasse. C’est mieux qu’entrevoir le Christ au lendemain de la Résurrection : elle repart en lévitation.
D’autant que sa démarche a porté ses fruits. En juin dernier, Christiane Taubira présentait dans son projet de réforme pénale un amendement prévoyant que « les détenus acceptant de participer à des activités culturelles, notamment de lecture, pourront prétendre à des réductions supplémentaires de peine ».
Tout cela est beau, grand, généreux, et il faut des esprits bien mesquins comme le mien pour se moquer. D’ailleurs, je m’en repens et j’exhorte les marionnettistes à fil et tous les professeurs de danse de salon ou de pâte à sel à prendre la suite de madame Bragance.
Lire est certes un droit des détenus inscrit dans la loi. Depuis 1986, il y est stipulé que « chaque établissement possède une bibliothèque dont les ouvrages sont mis gratuitement à la disposition des détenus ». Vœu pieux. Peu de place, peu de choix dans les titres (des dons), une gestion parfois inexistante dans la mesure où aucun personnel n’est affecté à la bibliothèque, la tâche étant confiée à un détenu formé par un bénévole. Et pas ou peu de possibilités de recevoir des livres de l’extérieur, tout texte qui pourrait contenir des menaces « graves contre la sécurité des personnes ou celle des établissements pénitentiaires » ou des « propos ou signes injurieux ou diffamatoires à l’encontre des agents et collaborateurs du service public pénitentiaire ainsi que des personnes détenues » étant interdit. Ça ratisse large…
Enfin, entre promiscuité et surpopulation, penser qu’on peut lire en taule comme sous sa tonnelle par une chaude après-midi d’été est un fantasme de romancière.