L’ange exterminateur – Airy routier

 

Très intéressante est cette enquête fouillée sur l’ascension de Bernard Arnault, l’homme qui, depuis une petite PME familiale, s’est hissé au sommet de l’établissement capitaliste français. L’atout premier de cette quête qui se lit comme une saga est que l’auteur s’abstient de tout jugement moral sur des pratiques que le conformisme actuel, renforcé par les affaires Métaleurop ou Daewoo, enjoindrait pourtant de condamner. D’autant que Bernard Arnault, plus financier qu’industriel, sait manier les outils du marché avec une détermination qui fait froid dans le dos et préfère de toute évidence le raid brutal, voire sauvage, à la construction patiente.

Airy_Routier

L’auteur ne semble pas éprouver de sympathie particulière pour son personnage, dont il raconte d’ailleurs comment ce dernier a cherché à bloquer la parution de ce livre. Toutefois, il semble fasciné par l’éblouissante mécanique intellectuelle, tendue par la volonté et la puissance. Il émet d’ailleurs un salutaire distinguo entre un Arnault et le capitalisme tendance aigrefin à la Tapie, auquel il a consacré un précédent ouvrage (Le Flambeur : la vraie vie de Bernard Tapie, Grasset, 1994).

Tout le reste n’est qu’une description très réussie des mécanismes de vingt ans de capitalisme et de fusions-acquisitions. De la fameuse affaire Boussac à la frousse des grandes familles devant l’arrivée de la gauche en 1981 ; du pouvoir des banques d’affaires à la générosité du Crédit Lyonnais, du marigot des industries du luxe aux mirages de la nouvelle économie, des interventions politiques à la guérilla judiciaire, tout est dit. Y compris les recours fréquents aux cabinets dits d’intelligence économique ou d’enquêtes financières, dont les activités servent autant à documenter une situation qu’à collecter les informations publiques ou privées qui déstabiliseront, le jour venu tel ou tel concurrent dans une transaction aiguë.

Certes, le capitalisme version Arnault n’est pas un enfant de chœur. Au moins a-t-il la vertu d’être extrêmement lisible, car tout entier orienté vers la puissance d’un homme et d’un patrimoine dans un jeu où les règles sont connues. Autant d’éléments de transparence qu’on aimerait plus souvent croiser dans les destinées politiques et leurs conséquences !

L’ange exterminateur, Airy Routier, Albin Michel, 430 pages, 21,50 Euros

Polémia

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