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En 1890, l’auteur antimaçonnique Léo Taxil, pseudonyme de Marie Jogand-Pagès, publie La ménagerie politique, ouvrage au sein duquel il se propose d’examiner les principaux types de la famille républicaine aussi variée que bestiale, arguant avec malice que les novateurs de la science athée ne sauraient y trouver à redire puisque soutenant la théorie selon laquelle l’Homme tient du singe...
« Accourez, matérialistes, socialistes, opportunistes et autres fumistes !… Prenez place à l’amphithéâtre. Vous allez voir défiler tous les échelons intermédiaires de l’homme à la bête », écrit Léo Taxil avant d’offrir une galerie de 30 portraits de personnalités politiques de l’époque, parmi lesquelles nous choisissons ici celui de Jules Grévy, président de la République de 1879 à 1887, associé au macaque et qui dut démissionner suite aux scandales des décorations.
« Le macaque, macacus, genre de quadrumanes, de l’ordre des singes, groupe des catarrhinins, comprend des espèces particulières à l’ancien continent et intermédiaires par leurs formes et leurs habitudes aux guenons et aux cynocéphales.
« Relevons d’abord une grosse erreur des zoologistes, qui prétendent que les deux espèces de macaques les plus septentrionales sont : à Gibraltar, d’un côté, où se trouve encore lemacacus speciosus ; et, d’un autre coté, à Yokohama (un peu plus au nord de Gibraltar), où l’on rencontre aussi quelques représentants disséminés du macacus innuus. Oui, c’est là une erreur manifeste ; car le macaque, à notre époque, est devenu beaucoup plus septentrional. Et la preuve, c’est qu’à Paris même, dans un terrain vague appelé l’Elysée, a vécu en pleine liberté un superbe représentant de cette tribu simiesque, lequel y a élu domicile avec sa famille, y est demeuré neuf ans, puis s’est transporté de là dans la retraite marécageuse de l’avenue d’Iéna, toujours à Paris, où il a atteint déjà un âge avancé.
« On ne s’explique pas que les naturalistes aient pu se tromper à ce point. En effet, le singe dont nous allons parler est si connu, que c’est par allusion à lui qu’on dit couramment : un vieux macaque ; l’expression est restée et est devenue populaire.
« L’espèce française est le macacus billardensis ou macacus grevyus ; c’est un singe d’assez grande taille et un peu différent de l’espèce vulgaire. La moyenne de l’ouverture de son angle facial est de 40 degrés. Son système dentaire est très développé. La tête, assez forte, présente, sur les orbites, un rebord élevé et échancré ; le front est petit, malgré la calvitie ; les yeux sont très rapprochés ; les lèvres et la bouche, pourvues d’abajoues ; les oreilles velues, assez grandes, et appliquées contre la tête. Le corps de l’animal est trapu. Les bras, proportionnés aux jambes, sont robustes. Les mains sont pourvues de cinq doigts chacune, ainsi que les pieds ; les doigts de ces derniers, néanmoins, sont ratatinés les uns sur les autres, et affligés d’une multitude de petites callosités dénommées cors.
« Ce qui est le plus curieux chez le macaque, en général, c’est la queue ; cet appendice, qui est, d’ordinaire, le prolongement de l’épine dorsale diffère de longueur, selon les espèces. Ainsi, le genre macaque se divise en trois sous-genres : le cercocèbe, le maimon et le magot. Or, l’appendice caudal, très long chez les premiers, se réduit chez le magot à un simple tubercule. Mais voici, par contre, une particularité commune aux trois sous-genres : longue ou courte, la queue des macaques n’est jamais prenante, et, en cela, elle ne ressemble pas à celle de tant d’autres singes.
« Chez le macaque élyséen, macacus billardensis, c’est encore et surtout la queue qui offre des particularités distinctives. Par ses habitudes économes, rangées, l’animal se rapproche du sous-genre magot ; mais, par l’appendice caudal qui, chez lui, est d’un mètre quarante environ, il s’en éloigne tout à fait.
« Bien plus, la queue du macaque élyséen est absolument extraordinaire : on peut dire, même, qu’elle est unique dans les annales de la zoologie. Au lieu d’être la continuation de l’épine dorsale, elle est complètement indépendante de l’animal. Cet appendice étrange n’est pas flexible ; ce n’est pas le moins du monde une queue prenante. Mais, d’autre part, elle estpoussante, si l’on peut s’exprimer ainsi : l’animal s’en sert, comme amusement, pour pousser des petits cailloux ronds qui s’entrechoquent sur un tapis vert ; pour cela, il la garnit de blanc à son extrémité. Ce macaque élyséen paraît prendre un vif plaisir à ce jeu : ses yeux brillent, ses babines remuent avec toute l’expression de la joie la plus intense et il lui arrive de passer des journées entières à cette distraction bizarre.
« Le macacus billardensis se caractérise encore par une grande tendance à la sociabilité ; mais il est un point sur lequel il est intraitable, il veut toujours se placer à la tête de ses congénères. Ainsi, dans la grande réunion des singes républicains, il s’oppose, de toutes ses forces, à ce qu’un autre que lui préside ; il réclame, par des grognements furieux, la suppression de la présidence, lorsqu’un autre la brigue ; mais il la revendique pour lui, et finit par l’obtenir. Une fois à la tête de ses camarades, il s’installe et prétend s’éterniser à son poste ; il devient méfiant, regarde de travers tout singe qui se permet de faire des gentillesses aux autres ; il voit en lui un animal malin qui veut lui prendre sa place ; il en devient jaloux, rageur ; il se livre, sournoisement, à toutes sortes de méchancetés mesquines contre les singes qu’il suppose ses rivaux, et l’on a toutes les peines du monde à le faire déloger, lorsqu’il est devenu par trop gênant.
« A l’époque où il s’était établi dans les terrains vagues de l’Elysée, il se montra d’un naturel à la fois entêté et pusillanime : il ne sortait guère qu’entouré d’une forte escorte ; car il sentait bien qu’au fond il n’était pas aimé des siens. Maintenant, réfugié dans sa retraite de l’avenue d’Iéna, il vit, craintif, cherchant à se faire oublier, sortant peu et toujours incognito, regrettant les 3 333 francs de noix fraîches élyséennes qu’il dévorait égoïstement chaque jour.
« Un des autres traits saillants du caractère du macaque élyséen, est sa manie de bâtir des huttes un peu partout. Dès qu’il a ramassé quelques pierres ou des fragments de bois, vite il contraint ses congénères plus faibles que lui à construire quelque chose, qu’il se réserve en toute propriété. Quand l’ouvrage est terminé, il leur témoigne sa satisfaction en leur distribuant quelques bouts de rubans rouges, dont ces animaux sont très friands ; mais c’est tout ce qu’il leur donne en rémunération de leur travail.
« On cite même des singes constructeurs qu’il envoya promener purement et simplement, ce qui ne fut pas de leur goût ; comme le macacus grevyus était le chef de tous les singes de l’endroit, les malheureux n’osèrent pas réclamer. Cependant, à la fin, quelques-uns se révoltèrent ; leurs réclamations firent scandale, et c’est à la suite de ce scandale que l’on chassa le macaque de sa résidence élyséenne.
« Mais là ne s’arrête pas la manie de l’animal. Ces huttes qu’il se fait construire, il ne les habite pas. Il y place les autres singes ; et, plusieurs fois par an, d’une manière très régulière, il vient leur prendre les carottes que ceux-ci ont cultivées, et il s’en repaît avec délices. Si, par malheur, un des singes locataires n’a pas réussi à faire pousser des carottes dans son jardin, le macaque élyséen entre en fureur ; il se jette sur l’infortuné, l’expulse de la hutte, et s’empare de tout ce qu’il possède.
« C’est, en somme, on le voit, un animal hargneux, grognon, peu sympathique. Il n’a, par exception, de tendresse que pour un palmipède, dont nous parlerons plus loin, le canard wilsonnien, anas wilsonia. Ce volatile, qu’il affectionne, a la spécialité de ramasser toutes les pommes cuites que les singes mécontents envoient au macaque élyséen : tous deux s’en nourrissent ; aussi, le macaque et son ami le canard engraissent-ils chaque jour à vue d’œil.
« Contrairement aux autres espèces de singes, le macacus billardensis s’est reproduit sous notre climat, et n’y est pas devenu phtisique ; ce qui dénote, chez cet animal, une somme énorme de vitalité. »
Léo Taxil ajoute ensuite le note biographique suivante : « La vie du 3e président de 3e République est trop connue pour que nous lui consacrions une longue notice. Nous nous bornerons donc à mentionner quelques dates.
« M. Grévy, né à Mont-sous-Vaudrey (Jura) le 15 août 1807, s’appelle en réalité, de ses prénoms, François-Paul-Judith ; pour éviter le ridicule de porter un nom biblique féminin, que lui avait infligé sans doute un parrain légèrement toqué, il changea Judith en Jules. Avocat à Paris, où il avait fait son droit, son premier procès politique est du 13 mai 1839 (affaire Barbès). En 1848, commissaire du gouvernement provisoire dans le Jura ; puis, successivement, élu député de ce département à la Constituante et à la Législative. Devenu célèbre par un amendement qui proposait la suppression de la présidence de la République, rejeté le 7 octobre 1848.
« Rentré dans la vie privée après le 2 décembre. Redevient candidat en 1868 au Corps législatif ; est élu dans le Jura. Se tient à l’écart après la révolution du 4 septembre, et reparaît à l’horizon politique, dès que la guerre est terminée. Député du Jura à l’Assemblée nationale de 1871 ; manœuvre avec beaucoup d’habileté ; se fait élire président de l’Assemblée ; démissionne le 2 avril 1873, dès qu’il voit la situation de M. Thiers compromise ; vote contre le septennat. Se réserve, sous la présidence de Mac-Mahon.
« Député de Dôle, à Chambre de 1876. Président de la nouvelle Chambre. Est élu député à Paris, au 14 octobre 1877, et pose dès lors sa candidature à cette présidence de la République dont il avait toujours demandé la suppression. Remplace Mac-Mahon (30 janvier 1879), ayant trompé tout le monde par de fausses apparentes d’austérité. Son but est atteint. D’une avarice sordide, il capitalise à outrance. Réélu président à l’expiration de son mandat, il laisse son gendre Wilson aux plus honteux tripotages, et transformer en une boutique l’Elysée, d’où il est enfin chassé, le 2 décembre 1887, à la suite de la découverte de ses concussions.
« Le citoyen Grévy restera, en politique, comme te type le mieux réussi du faux bonhomme. Pendant de longues années, il a dupé ses contemporains, avec une habileté consommée. Les républicains le citaient à l’envi pour modèle de toutes les vertus civiques. On disait : Grévy l’Intègre, comme autrefois : Aristide le Juste. Et, quand éclatèrent les scandales qui ont amené sa chute, on fut généralement surpris de constater que cet honnête homme était ce que sont les autres. On avait cru avoir affaire à une fleur de probité, et l’on se trouvait en présence d’un fieffé coquin ; la bonhomie du personnage n’avait été qu’une rouerie jusqu’alors sans exemple. Ce président modeste, aux allures d’incorruptible, qui paraissait dédaigner les intrigues de la politique, pour se livrer paisiblement à l’élevage des canards, à la chasse aux lapins, ou encore à d’inoffensifs carambolages, était un routard accompli.
« Il laissait vendre la croix d’honneur à l’Élysée.Il recevait familièrement chez lui les plus viles proxénètes et leur confiait les secrets de patrie, en vue d’un infâme trafic. Dans un procès de guano, il frustrait le trésor national au profit de banquiers cupides. Tripotant les dossiers judiciaires, il en arrivait jusqu’à commettre des faux, pour rendre indemnes les scélérats ses complices.
« Bref, durant quarante ans, ce misérable fut, aux yeux de tous, le prototype de l’austérité républicaine ; si bien qu’aujourd’hui chacun se dit : Si celui-là est le plus parfait honnête homme du parti, que sont donc les autres ? »