Francesco Zeffirelli, franchement, je le pensais mort depuis longtemps. Eh bien, non, il ne l’était pas. Il ne l’est que depuis quelques heures. Le grand intérêt des nécrologies, c’est de nous faire réfléchir au sens d’une vie, d’un destin, et donc aux nôtres, mais aussi à notre époque. Surtout quand il s’agit d’un artiste.
Et avec Zeffirelli, né en 1923 à Florence, quel destin ! Qui aurait pu ne pas être. Enfant adultérin, il est abandonné par sa mère à l’orphelinat des Innocenti. Destin, avons-nous dit. Arrivé le jour des Z, sa mère, passionnée de Mozart, lui donne le nom « Zeffiretti », les doux zéphyrs d’Idoménée. Il y a des abandons moins poétiques. Erreur de transcription de la bonne sœur de service, ce sera Zeffirelli. Encore plus doux à l’oreille. Destin encore, adouci par les anges. Et aujourd’hui, les enfants non désirés à la Zeffirelli, quel est leur destin ?
À 6 ans, il est pris en charge par une gouvernante anglaise qui lui fait découvrir la langue de Shakespeare et, surtout, Shakespeare. Une révélation qui décidera de ses goûts et de sa carrière : ce sera le théâtre, et l’opéra, forcément quand on est italien. Repéré comme acteur par Visconti, qui en fait son assistant – et son amant -, il travaille sur La Terre tremble, en 1948, Bellissima, en 1951, Senso, en 1954. Une collaboration terriblement exigeante où Zeffirelli servit à merveille son maître et son obsession des détails, dans les décors et la mise en scène.
Mais leurs rapports se tendent car l’élève prend son envol et lui « vole » Maria Callas, qui lui donne l’occasion de la diriger dans La Traviata, Tosca et Norma, durant les années 60. Années opéra. Mais pas seulement : il triomphe aussi au cinéma avec sa Mégère apprivoisée, avec Elizabeth Taylor et Richard Burton (1967), et surtout son Roméo et Juliette (1968), qui remporte deux Oscars.
Les années 70, elles, sont les années chrétiennes – et catholiques – de cet enfant abandonné – et sauvé ! – de Florence. Destin, encore. Ou vocation. Il réalise un François et le chemin du soleil sur la vie de saint François d’Assise, en 1974 , mais surtout une mini-série, Jésus de Nazareth, en 1977, avec une distribution époustouflante : Robert Powell en Jésus, Laurence Olivier en Nicodème, Peter Ustinov en Hérode, Anne Bancroft en Marie-Madeleine, Anthony Quinn en Caïphe, Rod Steiger en Ponce Pilate, Claudia Cardinale en femme adultère ! Du grand spectacle, à la fois fidèle, dans tous les sens du terme, et inspiré. Le tout est béni par Paul VI et rencontre un succès énorme : 27 millions d’entrées en Italie, plus de 2 milliards dans le monde. Avec Zeffirelli, le Nouveau Testament et Jésus entrèrent, via la télévision, dans tous les foyers. Bel exemple d’évangélisation populaire par la culture.
La fin de sa carrière lui permit d’exprimer sa fidélité à lui-même, à Florence et à ses amours de toujours : Shakespeare, l’opéra, la Callas, avec un Othello de Verdi avec Plácido Domingo, un Hamlet avec Mel Gibson en 1990 et un Callas Forever en 2002, où Callas est incarnée par Fanny Ardant.
Zeffirelli n’avait jamais caché ses opinions de droite, se faisant élire plusieurs fois sénateur et dénonçant, à temps et à contretemps, l’IVG. Homosexuel sachant trop ce que c’était que d’avoir été privé de son père et de sa mère, il n’était jamais monté dans le train ou sur les chars des revendications LGBTQ au rythme desquelles nous sommes tous sommés de marcher en ce XXIe siècle.
Et si l’enfant abandonné dans la Florence de 1923 et recueilli chez les « Innocenti » avait à nous dire des choses politiquement incorrectes sur tous ces sujets, loin des Gay Pride et des injonctions pro-PMA ? S’il nous montrait que d’autres voies sont possibles ?
Alors, une bonne rétro Zeffirelli dimanche à la télé et des projections privées pour nos gouvernants ?
Pascal Célérier – Boulevard Voltaire