Charles Gleyre, un romantique repenti

Charles Gleyre naît en Suisse en 1806, près de Lausanne. Orphelin, il se retrouve à étudier le dessin industriel chez un oncle à Lyon. Plus intéressé par les beaux-arts, il « monte » à Paris et entre dans l’atelier de Louis Hersent (peintre dont on connaît les Religieux de l’hospice du mont Saint-Gothard). Il travaille ainsi trois ans, puis part pour cinq ans à Rome où il subit l’influence des peintres allemands dits « nazaréens ». De Rome, il part en Orient comme dessinateur accompagnant John Lowell Jr, riche Américain. La Grèce, l’Egypte, rien que de très banal, l’expédition se corse lorsqu’ils entreprennent de remonter le Nil jusqu’au Soudan. Très malade, Gleyre se sépare de Lowell, reste à Khartoum un certain temps – il met deux ans à rentrer en France, désargenté et souffrant d’une ophtalmie sévère.

La suite de son existence est faite de succès relatifs (il a des commandes d’Etat, de la ville de Paris, du canton de Vaud) et d’échecs, voire d’humiliations : alors que Gleyre a commencé à peindre un décor pour le château de Dampierre (1840), Ingres intervient auprès du commanditaire, le duc de Luynes, et en fait effacer une bonne partie… La maladie (paralysie partielle, ophtalmie : suites de son voyage oriental) et les déconvenues politiques de ce républicain attristent les vingt dernières années de sa vie. Il meurt en 1874.

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Que retenir de son œuvre ? De belles aquarelles faites pendant le voyage en Orient : paysages de Malte, Athènes, Smyrne, Thèbes, etc. ; de très belles huiles sur papier de la même époque, portraits de Nubiens et de Nubiennes, belles têtes typées qui annoncent l’art d’un sculpteur comme Charles Cordier (1827-1905). Pour le reste, les grandes huiles historiques ou allégoriques, les grandes nudités, des mots tels que « matière léchée et lourde », « coloris faux », « dessin faux » conviennent. La Nubienne peinte en 1838, avec son amphore sur la tête, a des allures de lampadaire : quel dévoiement entre les études réalisées en Orient et ce que le peintre en tire une fois revenu dans le giron académique parisien ! Même constat que pour Gérôme : il est plus à l’aise dans de petits formats vivement brossés (Manfred invoquant l’esprit des Alpes ; Néron et Agrippine, Raphaël quittant la maison paternelle). Seules quelques grandes toiles ne semblent pas en carton, comme Le Déluge (1856), qui pourrait être symboliste, ou Les Elephants, sujet original traité de manière originale.

Si les peintures de Gleyre sont peu aimables, Gleyre lui-même l’était : il avait à Paris un des ateliers les plus appréciés pendant un quart de siècle. Sa descendance sera d’un côté celle de Gérôme, « l’école du calque », comme l’appelait le trop peu lu Champfleury qui, dans des Salons publiés entre 1846 et 1851, a exercé sa verve naturaliste à leur encontre. « Ce qu’il leur fallait, c’était de l’eau de laitue correspondant à la gamme sang-de-navet de leurs peintures poitrinaires. (…) Il n’est pas nécessaire, je pense, de parler autrement de la peinture pâlote d’une école si justement appelée école du calque » (La Silhouette, 1er juillet 1849). Le calque symbolisant le manque d’inspiration, la reproduction continue des poncifs et la recherche ingresque du trait idéal qui finissait pas n’être qu’une ligne morte.

D’un autre côté, ont fréquenté l’atelier de Gleyre de futurs impressionnistes : Auguste Renoir, Alfred Sisley, Frédéric Bazille, Claude Monet… Ce dernier n’a fait qu’y passer. « La vérité, la vie, la nature, tout ce qui provoquait en moi l’émotion, tout ce qui constituait à mes yeux l’essence même de l’art, n’existait pas pour cet homme. Je ne resterais pas chez Gleyre. Je ne me sentais pas né pour recommencer à sa suite Les Illusions perdues et autres balançoires. Alors, à quoi bon persister ? » Les Illusions perdues est une toile qui date de 1843, dont le vrai titre est Le Soir, un soir où le ciel, la barque et les figurants sont en carton. Comme il est heureux que Monet n’ait pas voulu prolonger cette veine !

Léautaud disait qu’il avait beaucoup appris sur le style en lisant de mauvais livres. Côté peinture, il y a des choses à apprendre en regardant les tableaux de Charles Gleyre.

Charles Gleyre, un romantique repenti. Jusqu’au 11 septembre 2016, musée d’Orsay.

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