La mesure serait presque passée en catimini mais quelques pédagogues ont sursauté à l’annonce de cette nouvelle idée parue début juin. Les élèves de 16 à 18 ans, sortis donc de l’obligation scolaire, reprenant leurs études après les avoir arrêtées durant cinq mois pourront recevoir une prime de 1000 euros (2) sur l’année. A condition toutefois qu’ils soient boursiers, ce qui est très souvent le cas. Pas plus de 5 % des élèves décrocheurs sont des enfants de cadres et on en compterait environ 620 000 en France, âgés de 18 à 24 ans. Les élèves issus de ces mêmes milieux populaires restant sagement au travail entre 16 et 18 ans, ne toucheront par contre rien de particulier. On peut donc voir un genre de prime aux élèves les moins sérieux, ce qui peut apparaître pour le moins saugrenu de la part d’un gouvernement. Mais les interrogations suscitées méritent que l’on se penche un peu sur les tenants et aboutissants d’une mesure qui surprend les professeurs.
Le décrochage d’un élève témoigne de plusieurs types d’avatars. Soit les parents de l’intéressé, encore mineur, n’ont pas suffisamment d’autorité pour lui intimer son obligation de travail. Et nous savons tous que l’autorité parentale est un thème revenant souvent dans les problématiques scolaires, de délinquance, ou de vagabondage des enfants. On l’a vu avec de spectaculaires arrêtés municipaux interdisant les rues nuitamment à des enfants non accompagnés.
Soit l’école n’est pas suffisamment intéressante pour le jeune, ce qui pourrait être un argument valable, encore que cette école garde encore en son sein la très grande majorité des élèves, bien que son côté « inintéressant » soit le même pour tout le monde. Enfin, et en augmentation, les cas de harcèlement seraient aussi moteurs de décrochage, comme il peut l’être constaté dans des structures d’accueil et là on touche aux dimensions de la sécurité et du respect de l’autorité qui deviennent des items de plus en plus prégnants faute d’être traités avec réalisme.
Plus classiquement, il y a les accidents de la vie, comme le montrent les statistiques sur les profils des enfants décrocheurs. Issus de familles nombreuses, avec des parents peu diplômés, ayant subi des divorces, des recompositions familiales des maladies ou des décès… Mais encore, on y croise des enfants à la scolarité chaotique depuis l’école primaire, avec un redoublement, un mauvais apprentissage de la lecture et autres fondamentaux. Dans ce cas là, il y aurait sans doute plus à réfléchir sur la qualité de l’enseignement en amont que de donner des primes sèches en argent pour s’exonérer des défauts du système. Il est vrai que ces parcours scolaires coûtent déjà très cher. « Les coûts associés au décrochage d’un jeune, cumulés tout au long de sa vie, sont estimés à 230 000 euros. Pour les 140 000 décrocheurs comptabilisés chaque année, cela équivaut à cumuler plus de 30 milliards d’euros de dette », écrit Le Monde en novembre 2014.
Mais alors que les causes du décrochage et les analyses des parcours de ces élèves sont très largement connues on peut se demander à quoi rime une telle prime. Les expériences de raccrochage menées expliquent toutes qu’il faut revoir le côté trop académique de l’enseignement, le rattacher à la pratique, mettre en valeur des qualités autres que les capacités d’abstraction et de symbolisation requises pour arriver au bac et après.
Du côté même du jeune, on a du mal à imaginer l’appât d’un gain de 1000 euros sur une année comme une motivation suffisante pour reprendre un parcours de vie. Soit il est sincère dans son désir de reprendre des études, auquel cas il souhaite un apprentissage sous une autre forme que celui qui lui a fait fuir l’école. Soit il veut simplement gagner de l’argent et des jobs plus ou moins avouables de quartiers urbains rivalisent tranquillement avec cette prime en matière de rémunération.
L’aspect philosophique de la mesure renvoie lui aussi a quelque chose de délétère dans un pays où l’enseignement est disponible de manière quasi gratuite jusqu’au bac et est considéré, non comme une brimade mais comme un bienfait apporté aux jeunes, par opposition à d’autres pays dans lesquels le travail du jeune, voire du très jeune, est rendu nécessaire pour nourrir une famille. Le risque est de retrouver les traditionnels arguments revenant en boucle avec ce gouvernement accusé de laxisme, de nivellement par le bas, d’inversion des valeurs et de prime à l’oisiveté, si ce n’est à la délinquance. Comment ne pas, en effet, entrevoir quelques dérives ? Avant tout, ce genre de mesure signe une série d’échecs : parentaux, éducatifs, scolaires, régaliens et la main à la poche évite à la fois les réformes et les questionnements. L’un de mes petits élèves, décrocheur, lui, dès le CP, m’expliqua cela très bien avec des mots d’enfants en posant une Game-boy sur mon bureau : « Tu as vu ce qu’il m’a offert mon père ? C’était ton anniversaire ? Non c’est pour que je sois sage à l’école. Et tu es sage ? Ben non, sinon j’aurai plus rien ».
Pierre Duriot – Polémia