Interrogez les gens autour de vous sur leur rapport à la foi et ceux-là vous répondront bien souvent soit qu’ils ne croient pas, soit, alors que « quelque chose » est à l’œuvre mais qu’aucune institution religieuse ne saurait en rendre compte avec justesse. Le Marie-Madeleine de Garth Davis ne sera pas, hélas, de nature à changer la donne.
Inspiré de l’Évangile de Marie-Madeleine, le film restitue la progression bien connue du Nouveau Testament – des premiers miracles de Jésus jusqu’à sa résurrection, suivie de la fondation, par Pierre, de son Église –, mais sous le prisme particulier de la jeune femme. Une sorte de nouvelle figure proto-féministe pour le moins anachronique, en totale révolte contre sa famille qui souhaite la marier de force, et qui, finalement, reflète davantage l’époque actuelle et ses préoccupations (balance ton porc…) que la situation de la femme en Galilée au premier siècle de notre ère.
Marie de Magdala est dépeinte, ici, comme la seule parmi tous les apôtres à réellement comprendre Jésus et à ne pas plaquer sur lui ses propres aspirations, contrairement à Pierre qui semble attendre une révolution sociale et à Judas – magnifiquement interprété par Tahar Rahim – qui, dans un mélange de meurtrissure et d’espoir exalté, en appelle carrément à la résurrection des morts et, en particulier, de sa défunte famille. Ce rapport privilégié de Marie-Madeleine avec Jésus (Joaquin Phoenix, peu à l’écoute de ses partenaires et trop centré sur lui-même pour être crédible) va lui valoir la jalousie de Pierre qui ira, in fine, jusqu’à l’écarter du groupe, pour ne pas dire la mettre au ban de l’Église. Le procès en misogynie des hommes reprend donc de plus belle et se dirige dorénavant contre les religieux…
Il atteindra son paroxysme en conclusion du film lorsque, dans un intertitre du générique, il sera fait mention de la réécriture tardive du personnage de Marie-Madeleine, devenue prostituée à la fin du VIe siècle sous le pape Grégoire. L’intertitre, curieusement, ne précise pas qu’il s’agit d’une repentie, et ne cherche pas davantage à expliquer les raisons éventuelles d’une telle réécriture par l’institution religieuse, qu’il s’agisse d’un souci de simplification du récit biblique (qui comprenait trois femmes appelées Marie) ou de la simple volonté de créer un modèle de transcendance féminin, comme le furent pour les hommes Pierre (le lâche qui finit par se racheter en propageant le message du Christ et en mourant à son tour crucifié), Matthieu (l’ancien percepteur d’impôts à la solde des Romains) ou encore Paul de Tarse (persécuteur des disciples de Jésus, converti plus tard au christianisme).
En vérité, le film de Garth Davis s’inscrit, dans une approche protestante, en opposition frontale à l’Église catholique qui, forcément, dévoierait la parole du Christ – comprise uniquement par Marie-Madeleine – et serait incapable de voir que, pour changer l’ordre social, les hommes doivent d’abord opérer une révolution intérieure et individuelle. Reproche que le personnage de Marie-Madeleine adresse à Pierre à la fin du récit.
Garth Davis oublie bien vite que si le message du Christ a pu se répandre en Occident et bâtir toute une civilisation, c’est principalement du fait de l’Institution chrétienne et de ses hostilités ouvertes avec Rome, et non pas tant d’une poignée d’individualités anarchisantes en quête de développement personnel. La nature humaine ne se réforme pas et ne change pas fondamentalement. La foi et l’amour ne sont rien sans l’institution qui organise la vie sociale et impose aux masses le corset minimal et nécessaire à la bonne tenue des rapports humains. S’il fallait compter sur la volonté des uns et des autres et sur l’évolution de chacun, alors aucun ordre social ne serait possible ; c’est ce que ne veut pas voir Garth Davis.
Par ailleurs, la proposition du cinéaste d’explorer sous un jour nouveau les personnages de Marie-Madeleine, de Pierre et de Judas était intéressante, mais il brode beaucoup trop au fil du récit pour pouvoir précisément se permettre ensuite de reprocher à l’Église sa réécriture de Marie.
Un film stimulant toutefois, servi par de beaux décors et une bande originale mieux sentie que ce que laisse penser la bande-annonce.
Boulevard Voltaire