Cambadélis / Mémoire sélective ou tri sélectif ?

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Par Eric Conan et Laurence Dequay

Harlem Désir promu aux Affaires européennes, c’est Jean-Christophe Cambadélis qui a hérité hier de la direction du PS. Mais étrangement les journalistes qui lui tirent le portrait ont la mémoire qui flanche. Les candidats FN aux dernières municipales, eux, n’ont pas toujours eu cette « chance ». Pourquoi un Alzheimer si sélectif ?

Lors des dernières élections municipales, l’un des exercices les plus prisés par les médias et revendiqués par les chasseurs de scoops fut d’aller fouiller dans le passé de nombre de candidats du Front national pour révéler leurs errements et leurs travers ou les petites et grandes condamnations judiciaires dont ils avaient pu être l’objet jusque dans leur prime jeunesse. Une manière de traiter le problème du Front national qui a ses avantages et ses inconvénients ; que l’on peut justifier ou critiquer.

Il est en effet possible de juger cette attitude contraire au droit à l’oubli qu’il faut défendre pour tous les ex-délinquants à partir du moment où, comme on dit, ils ont « payé leur dette à la société ». C’est une sage bienveillance que la justice a d’ailleurs intégrée en effaçant des casiers judiciaires les condamnations au bout d’une certaine durée variant selon leur gravité. Cette ignorance vis-à-vis d’un passé souvent révolu (ne dit-on pas que les récidivistes sont rares…) peut aussi se justifier d’un point de vue politique : sauf à faire primer un ordre moral essentialiste, l’électeur doit juger les candidats moins sur leurs fautes passées que sur leurs propos contemporains et leurs engagements pour l’avenir.

Mais à l’inverse, l’on peut tout aussi légitimement considérer que les critères de la représentation politique outrepassent les droits à l’oubli du simple citoyen ex-délinquant et que l’électeur a le droit de disposer de toutes les informations sur la biographie de ceux qu’il choisit. Parce que la fonction d’élu, de ministre ou de chef d’un parti relève du sacré politique et que seuls ceux qui n’ont jamais pêché mériteraient l’onction démocratique. C’est cette conception un peu puritaine et idéale — mais tout à fait respectable — qui anime les limiers à la recherche d’antécédents judiciaires dans les pédigrées des candidats du Front national.

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EPURATEUR POUR LES UNS, SILENCIEUX POUR LES AUTRES ?

Pour résumer, l’on peut légitimement souscrire à l’une ou l’autre de ces deux attitudes, charitable ou suspicieuse, taisant ou rappelant les passés judiciaires des uns et des autres. Mais ce que l’on n’a assurément pas le droit de faire, en revanche, c’est de se montrer épurateur pour les uns, et silencieux pour les autres ! C’est pourtant ce qui vient de se passer à propos de la nomination de Jean-Christophe Cambadélis à la tête d’un Parti socialiste privé d’Harlem Désir dont Manuel Valls a besoin pour représenter les intérêts de la France à Bruxelles  : les mêmes qui n’hésitaient pas à rappeler les plus petits travers judiciaires des uns se montrent soudain timorés pour rappeler ceux du nouveau patron du PS.

Dans les longs portraits auxquels il a eu droit, rien ne nous est épargné de ce joueur de rugby « gaucher contrarié », de sa compagnie de danse « se réclamant de Béjart » lorsqu’il était au lycée à son « Manifeste contre le Front national » lancé il y a vingt-cinq ans avec le succès que l’on a pu vérifier. Les plus audacieux osent tout de même rappeler qu’il fut condamné dans la crapoteuse affaire financière de la MNEF tout en se gardant bien de rappeler une autre condamnation assurément plus politiquement signifiante.

Le profil de socialiste et d’acteur de premier plan de la vigilance antifasciste contre Le Pen de Jean-Christophe Cambadélis avait en effet intéressé dans les années 90 un ancien cadre du Front national, patron d’un organisme de gestion de foyers pour travailleurs immigrés qui offrait des conditions d’hébergement lamentables à ses pensionnaires : il proposa à Cambadélis, qui l’accepta, un salaire un peu trop fictif qui valut à ce dernier une condamnation à 100 000 francs d’amende et cinq mois de prison avec sursis.

Le procès, en 2000, permit d’apprendre que ce taulier marchand de sommeil, qui avait parfois des soucis avec des comités de résidents mécontents de ses prestations, avait ainsi, en recrutant le déjà apparatchik du PS, souhaité « s’attacher les services d’un homme d’influence », justifiant par « la position importante de Monsieur Cambadélis dans un parti politique » l’intérêt d’obtenir, à l’occasion de quelques déjeuners, les conseils d’un expert apte « à revaloriser son image et [à] lui ménager des appuis et son influence ». « Appuis » et « influence », deux raisons qui peuvent peut-être aussi expliquer pourquoi les journalistes ont aujourd’hui la mémoire si sélective quand ils écrivent sur Jean-Christophe Cambadélis…

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