Vino Business / “Saint-Émilion, un impitoyable Dallas”

Un petit milieu, fermé et violent, avec ses grands seigneurs et ses proies, c’est ainsi que la journaliste Isabelle Saporta décrit Saint-Émilion dans son livre Vino Business.

 



La RVF : Quel est le point de départ de cette enquête ?


Isabelle Saporta : Sur une étiquette de cassoulet j’ai toute la liste des ingrédients, alors que pour un grand vin je n’ai pas grand-chose. Ça m’a donné envie de creuser, d’aller sur le terrain et voilà comment j’ai passé deux ans dans les vignes.

La RVF : Vous comparez Saint-Émilion à la série télévisée américaine “Dallas”
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Isabelle Saporta : Il s’agit d’un petit milieu, fermé, dans lequel il est très difficile d’entrer. Quand vous y pénétrez, vous vous rendez compte qu’il y a d’un côté les grands seigneurs, et d’un autre côté les proies. Le parallèle est intéressant avec la série Dallas, car ces grands propriétaires ont beaucoup de talent mais ils sont parfois d’une cruauté infinie envers les plus petits producteurs.


“DES FAMILLES VIGNERONNES AUX RICHES INVESTISSEURS”


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La RVF : Vous observez avec défiance les grands héritiers et les ultra-riches qui investissent à Bordeaux.


Isabelle Saporta : Effectivement, je trouve un peu gênant qu’à Pomerol nous soyons passés d’un terroir à 200 000 € l’hectare dans les années 90, à plus de 2 millions d’euros aujourd’hui. Cela a pour conséquence que le petit producteur ne s’y installera plus jamais faute de moyens, et qu’il aura également de plus en plus de mal à le conserver dans son giron familial. Un exemple : Michel Rolland, le pape des œnologues consultants, n’a lui-même pas pu garder Château Le Bon Pasteur, à Pomerol (lire notre article : “Château Le Bon Pasteur (Pomerol) cédé à un groupe de Hong Kong”). C’est un peu triste. Mais il n’y a pas de doute sur le fait que ces investisseurs savent produire du bon vin.

La RVF : Vous parlez surtout de Saint-Émilion. Cette appellation concentre-t-elle les problèmes du vignoble français ?


Isabelle Saporta : Il y a quelques années, ce vignoble était encore composé de petits domaines familiaux. Saint-Émilion est un laboratoire d’observation sur le basculement des familles vigneronnes qui ont cédé leur place aux riches investisseurs. Bordeaux est l’un des vignobles les plus riches, mais je trouve intéressant également de porter un regard sur la Champagne, la Bourgogne et le bordelais, qui sont les joyaux hexagonaux.

La RVF : Pour vous, l’INAO est devenu un jouet aux mains des puissants. Faut-il tout changer ?


Isabelle Saporta : Je trouve que l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité, ndlr) doit reprendre son rôle de gendarme. La démarche d’origine était très louable, à savoir mettre en valeur les richesses des terroirs de France, mais cette idée a été dévoyée car aujourd’hui les grands viticulteurs sont juges et partis. Il faut que l’INAO reprenne le contrôle !


“IL FAUT INSTAURER DES LIMITES MAXIMALES DE RÉSIDUS DANS LES VINS”


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La RVF : Les vins sont-ils empoisonnés par les pesticides ?


Isabelle Saporta : Il faut effectivement instaurer des limites maximales de résidus dans les vins. Il y en a sur tous les autres produits de consommation, pourquoi pas sur le vin ? Il faut que les consommateurs sachent quels produits œnologiques sont utilisés dans la conception de leurs vins.

La RVF : Votre enquête vous a-t-elle dégoûtée du vin ?


Isabelle Saporta : Au contraire ! J’aime d’autant plus le vin maintenant, après avoir vu ces vignerons souffrir. Notamment Stephane Derenoncourt, désespéré face à ses parcelles grêlées, ou encore Jean-Luc Thunevin voyant la pourriture se développer très vite. Ces expériences m’ont donné l’amour du vin, et l’amour pour ces gens qui vivent viscéralement pour le vin.

Lu sur lrvf

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