L’extrême dangerosité de l’article 36-1!!!

Pour comprendre pourquoi l’article 1er* est dangereux et est tout le contraire d’une « protection de la Nation », il faut d’abord rappeler que le rôle du Conseil constitutionnel est de vérifier que les lois adoptées par le Parlement sont conformes à la Constitution. Si l’on change la Constitution, on change les fondements du contrôle constitutionnel.

Jusqu’à présent, l’état d’urgence pouvait être décidé par la loi, dans le cadre habituel de la Constitution. S’il était saisi, le Conseil constitutionnel pouvait dire si les mesures proposées par le législateur étaient compatibles avec le texte fondamental de la Cinquième République, et faire obstacle aux lois qui seraient disproportionnées. Certes, Manuel Valls s’est opposé à ce que le Conseil constitutionnel soit saisi de la loi sur l’état d’urgence de novembre 2015 (qui a des incidences pour le numérique), parce qu’il craignait justement cette censure. Mais des députés ou sénateurs inquiets auraient pu passer outre et saisir les sages. C’est une protection démocratique essentielle.

Or que fait l’article 1er de la loi constitutionnelle, dont le fond a été si peu commenté ? Il ajoute dans la Constitution un nouvel article 36-1 qui dit que « la loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre » lorsque le gouvernement décide qu’il y a état d’urgence.

La majorité parlementaire pourra donc décider de mettre à peu près ce qu’elle veut comme mesures exceptionnelles de police, et s’il est saisi par des députés ou sénateurs inquiets dans l’opposition, le Conseil constitutionnel devra se borner à constater que la Constitution confère au Parlement le pouvoir de décider de ce qu’il est possible de faire.

L’article 36-1 créé ayant la même valeur juridique que tous les autres articles de la Constitution, et la même valeur que la Déclaration des droits de l’homme, le Conseil ne pourra pas ou difficilement trouver argument de l’incompatibilité des lois d’état d’urgence avec d’autres normes constitutionnelles. D’autant que le principe juridique lex specialis derogat generali (la loi spéciale déroge à la loi générale) pourrait trouver à s’appliquer.

Même, le Conseil constitutionnel ne pourra pas aller rechercher de normes supérieures dans la Convention européenne des droits de l’homme ou d’autres traités internationaux relatifs aux droits fondamentaux, puisqu’il estime que son rôle est de contrôler la conformité des lois avec la constitution, mais pas avec les engagements internationaux de la France — c’est le rôle des tribunaux, lorsque ces engagements sont d’effet direct.

« Ce que nous mettons en place, ce sont des mécanismes de contrôle très stricts sur le plan politique, comme sur le plan juridictionnel », avait promis Manuel Valls devant les députés, lors de la discussion du projet de loi constitutionnelle. Mais l’on peine à voir où sont ces contrôles stricts de la « protection de la Nation », à partir du moment où la Constitution est amendée pour désarmer le Conseil constitutionnel.

Source

Article 1er

Après l’article 36 de la Constitution, il est inséré un article 36-1 ainsi rédigé :

« Art. 36-1. – L’état d’urgence est décrété en Conseil des ministres, sur tout ou partie du territoire de la République, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique.

« La loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre pour prévenir ce péril ou faire face à ces événements.

« Pendant toute la durée de l’état d’urgence, le Parlement se réunit de plein droit.

« L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant l’état d’urgence. Ils peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures. Les règlements des assemblées prévoient les conditions dans lesquelles le Parlement contrôle la mise en œuvre de l’état d’urgence.

« La prorogation de l’état d’urgence au delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi. Celle-ci en fixe la durée, qui ne peut excéder quatre mois. Cette prorogation peut être renouvelée dans les mêmes conditions. »

Article 1er bis (nouveau)

À la fin de la seconde phrase du dernier alinéa de l’article 42 et au troisième alinéa de l’article 48 de la Constitution, après le mot : « crise », sont insérés les mots : « prévus aux articles 36 et 36-1 ».

Article 2

Le troisième alinéa de l’article 34 de la Constitution est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« – la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de la nationalité française ou des droits attachés à celle-ci lorsqu’elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ;

« – l’état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités ; ».

Délibéré en séance publique, à Paris, le 10 février 2016.

 

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