Par Jean Ansar, journaliste ♦ Jean Ansar est un spécialistes des questions culturelles, qu’il traitait sur l’excellent site Metamag, hélas en sommeil faute de moyens. Avec lui, voyagez loin dans le temps en découvrant l’effroyable réalité des cultes aztèques.
Bien avant la dictature de la repentance coloniale, les conquérants espagnols du Nouveau Monde avaient mauvaise presse. On a dénoncé, à juste titre, une avidité se servant de la foi catholique. On ne peut que regretter la perte par destruction fanatique de témoignages et de mémoires de civilisations fascinantes. Cela étant, on parle peu de la cruauté des civilisations précolombiennes, notamment sur le territoire de l’actuel Mexique. C’est tout juste si, quand Mel Gibson les met en scène dans « Apocalypto », il n’est pas l’objet d’un procès pour racisme. Et, pourtant, si on ne prend pas en compte les horreurs découvertes par les conquistadores et les missionnaires, on ne peut pas comprendre d’une part le ralliement immédiat aux premiers des ethnies asservies aux Aztèques et martyrisées par eux et, d’autre part la violence d’une évangélisation voulant faire table rase d’un passé sanguinaire.
Hernan Cortez et ses compagnons sont arrivés non seulement dans un nouveau monde, mais sur une autre planète. Ils ne pouvaient ni comprendre ni admettre, en raison de leurs convictions, la réalité qu’ils ont rencontrée.
Les découvertes récentes, comme celle du temple dédié à Xipe Totec (une importante divinité de la mythologie aztèque célébrée par des sacrifices humains) annoncée le 3 janvier par l’Institut national d’Anthropologie et d’Histoire (INAH), ne font en effet que confirmer que les civilisations du « serpent à plumes » étaient aussi raffinées que cruelles. Xipe Totec, «Notre seigneur l’écorché », était un des dieux les plus importants à l’époque préhispanique. Son influence a été reconnue par de nombreuses civilisations de l’ouest, du centre et du golfe du Mexique. « Toutefois, aucun temple associé directement à son culte n’avait jamais été découvert » a indiqué l’INAH.
Ce temple de 12 mètres de long et 3,5 m de hauteur est composé de deux autels de sacrifice, de trois sculptures en pierre volcanique et de divers éléments architecturaux situés dans un sous-sol pyramidal de la Zone archéologique de Ndachjian-Tehuacán, dans l’Etat mexicain de Puebla. Les sculptures du temple, qui aurait été utilisé entre 1.000 et 1.260 après J.C., représentent deux crânes d’environ 70 centimètres, pesant environ 200 kg, et un buste couvert de peau de sacrifice qui personnifient Xipe Totec, dieu associé à la fertilité, à la régénération des cycles agricoles et à la guerre.
Une des fêtes les plus importantes à l’époque était le « Tlacaxipehualiztli », ce qui en langue náhuatl signifie « mettre la peau de l’écorché », communément célébré sur deux autels circulaires : l’un pour sacrifier les captifs à travers des combats de gladiateurs ou de flèches, et l’autre pour le dépeçage à la gloire de Xipe Totec.
Les prêtres étaient vêtus de la peau des sacrifiés, qui était ensuite déposée dans de petites cavités. Cela « montre l’importance de la découverte des deux autels sacrificiels dans le sous-sol pyramidal, et de deux trous dans le sol (devant les autels) qui étaient remplis de terre (…) et se trouvaient sous les crânes de pierre », signale l’INAH.
Le dieu dépeceur des vaincus et le rite des écorchés est bien sûr incompatible avec le culte du Crucifié ressuscité. Le choc des deux cultures ne pouvait qu’entrainer la disparition quasi totale de l’une d’elle… même si perdure l’attachement des descendants des Aztèques au « bon dieu » Xipe Totec, comme en témoigne chaque année le festival, très haut en couleurs et rythmé par des tambours, tenu en son honneur.
On peut déplorer cette incompatibilité radicale mais on peut aussi la comprendre. Cette découverte sanglante nous apporte en tout cas une nouvelle fois la preuve que les choses ne sont jamais aussi simples que certains le souhaiteraient et qu’entre la glorification et la diabolisation, il est très vaste, le champ de progression pour le devoir d’histoire.
Jean Ansar – Polémia