LE NOUVEAU MAGAZINE LITTÉRAIRE : LE VIEUX SOUS LE NEUF

Il y avait longtemps que plus personne ne lisait Le Magazine littéraire. Le mensuel était maintenu sous perfusion de diverses façons, dont les abonnements des CDI des lycées, des universités, des médiathèques et autres institutions. Autrement dit, l’ancien Magazine littéraire avait un lectorat fantôme. Le changement, c’est maintenant ?

C’est en tout cas ce que souhaite Raphaël Glucksmann, le nouveau patron du Nouveau Magazine littéraire. Glucksmann l’affirme, il veut donner une tournure « progressiste » à ce magazine né en 1966. Ce qui signifie dans son esprit, militer en faveur de tout ce qui fait le libéral libéralisme : société ouverte, multiculturalisme, boboïsme conscient et inconscient, copinage parisien, vieilles badernes idéologiques plus ou moins bien mariées avec la communication hype électrice d’Emmanuel Macron. Et militer contre, pêle-mêle, la Russie de Poutine, l’identité, les racines, les conceptions du monde fondées sur la souveraineté, l’autorité, les frontières…

Retour vers les années lycée ?

C’est qu’il est inquiet, Raphaël Glucksmann, il le disait sur Franceinfo le 5 janvier 2018, au sujet de « l’extrême droite » : « C’est un phénomène global et ça a lieu dans toutes les démocraties libérales européennes et occidentales en général (…) Il y a différentes causes. Il y a la crise socio-économique mais on n’explique pas tout par cette crise parce qu’en République Tchèque, par exemple, les électeurs ont voté pour un populiste d’extrême droite, Babiš, alors que la situation économique allait plutôt mieux qu’avant. On pourrait dire : “C’est les vagues migratoires”, mais il y a des villages hongrois qui se mobilisent derrière l’extrême droite qui n’ont jamais vu le moindre réfugié ou migrant. Il y a une explication générale qui est l’incapacité des démocraties libérales aujourd’hui, de produire du sens, à produire un horizon collectif qui permette de mobiliser les électeurs et les gens. Donc il y a une défiance généralisée vis-à-vis des institutions en place et c’est l’extrême droite qui en profite le plus (…) En mai 2017, on a évité la mort clinique qu’aurait été la victoire de Marine Le Pen mais on n’a pas soigné la maladie. Donc il y a une forme d’illusion à croire que tout a été résolu. Je pense que le terrain est le même et que la France n’est pas immune de ce qu’il se passe ailleurs en Europe ». Chacun aura reconnu le discours que tenait l’une ou l’autre de ses connaissances, à l’époque du lycée. Le discours de Raphaël Glucksmann est un discours dont la naïveté est celle de l’adolescence, versant gauche caviar du cœur de Paris. Que l’on en juge, toujours lors de son entretien du 5 janvier 2018 : « Le mode d’accession au pouvoir de ces mouvements d’extrême droite, il est démocratique. Mais à chaque fois qu’ils prennent le pouvoir, on le voit en Pologne, en Hongrie, il y a une tendance qui est à l’érosion des libertés, des institutions, du débat démocratique dans son ensemble. La caractéristique de tous ces mouvements, c’est d’être des mouvements autoritaires, fondés sur le culte du chef, l’embrigadement de la population et la pratique du bouc émissaire. » Raphaël Glucksmann n’a pas oublié un mot de ses cours d’Éducation civique et d’Histoire de Terminale. C’est donc un éternel lycéen qui a été récemment nommé à la tête du Nouveau Magazine littéraire. Il veut « changer » et « réinventer » le monde. C’est du moins ce qui a été affirmé lors de la présentation de la nouvelle formule du magazine, au Procope, Saint Germain des prés oblige. On ne sera donc guère surpris de ce que contiennent les 100 pages de son tout premier numéro. Un numéro amplement diffusé et pour lequel Glucksmann n’a pas de mal à trouver des pigistes. Quoi de plus normal, il y a de la belle finance : Bruno Ledoux (Libération, fidèle compagnon de Patrick Drahi), Xavier Niel (l’opérateur Free, Le Monde et beaucoup d’autres) et Claude Perdriel (Sophia Publications) sont les principaux actionnaires.

Un premier numéro tout droit issu de l’ancien monde

Le premier numéro du Nouveau magazine littéraire veut donc refonder la gauche, recréer le monde : « Le Nouveau Magazine Littéraire n’est pas une nouvelle version du magazine. C’est un nouveau journal qui veut regrouper les différentes sensibilités du camp progressiste ». Un journal qui se veut de gauche mais qui, si l’on en croit les déclarations naïves de son directeur, propose en gros ce qui a conduit le monde là où il en est. Un prétendu Camp du Bien s’est réincarné dans ce Nouveau Magazine littéraire, et ce camp repart à l’assaut. Les troupes sont regroupées dans le dossier du n°1 intitulé « Les idées changent le monde ! ». Pas de doute, on est toujours en Terminale. Résumons : un nouveau magazine littéraire qui est en fait un magazine politique de gauche caviar, dont l’ambition est de changer et de recréer le monde en faisant un « Voyage au cœur des nouvelles utopies ». On est cependant surpris, à lire le nom des soldats contributeurs appelés à bouleverser l’ordre maléfique du monde (entendez « de droite »). Rien que de l’ancien monde : Chamoiseau, Zizek, Frédéric Beigbeder, Leila Slimani, Michel Onfray (qui patronne un dossier entier, cette fois consacré à La Boétie )… et même Najat Vallaud-Belkacem, laquelle se donnait sans doute ici la légitimité nécessaire à sa prise de fonction, début janvier 2018, à la tête d’une collection d’essais eux-aussi « progressistes » chez Fayard. On se regroupe, on se serre les coudes. Il ne manque que Léa Salamé. Si l’adversaire du Nouveau Magazine littéraire existe, cette « droite » et cette « extrême droite » que Glucksmann imagine de retour en une sorte de remake des Années 30, il n’a pas à s’inquiéter. Une telle brochette de visionnaires du passé ne risque pas de l’empêcher de se développer. Dans le Nouveau Magazine littéraire, on frissonne à l’évocation de la famille Merah, « une famille française », on frémit devant Wauquiez, la « droite », on demande à madame Vallaud-Belkacem un « éloge de l’imperfection en politique » et on travaille l’utopie, à coup d’articles de quelques dizaines de signes, utopie rangée sous le titre « Que monde rêvez-vous ? ». Au fond, Raphaël Glucksmann pratique probablement l’ironie en donnant à lire un magazine à ce point vintage l’année de la commémoration de Mai 68. Que croire d’autre ? D’ailleurs, le dossier « utopie » commence par cette phrase : « Soyons réalistes, demandons l’impossible ! ». Ah… on allait oublier des incontournables de la gauche libérale libertaire caviar : Edgar Morin nous parle de Tariq Ramadan, et converse avec le directeur Raphaël Glucksmann. Rien que de très normal, pour un directeur de magazine, que de s’auto interviewer. Il y a aussi des pages de critiques de livres qui ressemblent à s’y méprendre à celles du Monde des Livres ou de Télérama. L’entre soi a gagné un nouveau magazine.

La doctrine Glucksmann ?

Puisque le jeune Glucksmann nous y entraîne, écoutons-le en son « manifesto » (sans doute une osée référence guévariste ou zappatiste pour dire « éditorial » ?) : « Nous ne sommes ni des bisounours ni des prêcheurs. Nous n’avons ni Dieu, ni dogme. Nous ne gardons ni musée, ni prison. Nous n’esquiverons aucun problème et nous n’escamoterons aucun songe. Dès le premier numéro du Nouveau Magazine littéraire, nous vous invitons à plonger dans les ténèbres de la famille Merah et à rêver d’utopies sociales, écologiques et politiques [une telle phrase, prêtant à confusion quant à son sens, aurait mérité relecture, NdA]. Nous mettons en lumière les paradis fiscaux et nous imaginons le monde qui saura s’en passer (…) Si nous refusons le fatalisme, nous acceptons le tragique (…) Nous savons que la Terre elle-même menace de disparaître si nous ne changeons pas nos modes de production et de consommation, nos modes de vie et de pensée » etc… Gageons que ce magazine ne perdra pas ses médiathèques et ces CDI abonnés.

On l’aura compris, si ce magazine vise prioritairement les collégiens de troisième et certains lycéens, cherchant des pompes pour le journal de leur lycée, il risque fort de rencontrer le succès. Pour ce qui est de transformer et de réinventer le monde, c’est une autre affaire. Quoi de neuf dans le Nouveau Magazine littéraire ? Rien. La preuve ? La 4e de couverture est une publicité pour un célèbre champagne. On a les barricades que l’on peut.

 

 

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