Il existe en France un profond malentendu sur la monarchie. Honnie par les révolutionnaires, on l’a confondue avec le despotisme. Dans le même temps, les Français ne se sont jamais entièrement départis d’une fascination pour les têtes couronnées. Cela va de l’attrait superficiel envers le quotidien des familles princières à l’intérêt vivace que portent nos compatriotes au patrimoine culturel de l’ancienne France.
Mais qu’est-ce donc, au fond, que la monarchie ? Comment comprendre ce système politique, deux siècles après la sanglante rupture du régicide ? C’est à ces questions que s’est attelé le professeur Yves-Marie Bercé, de l’Institut. Spécialiste de l’Ancien Régime, ce vénérable universitaire vient de faire paraître Les Monarchies dans l’Europe moderne (XVIe-XVIIIe siècles), aux éditions du CNRS. Il y décortique les grands traits du régime monarchique de la Renaissance à la Révolution. Un détail pourrait étonner le lecteur : la couverture du livre représente un roi non pas français mais anglais : Charles II. C’est que l’auteur a délibérément voulu s’écarter d’une approche franco-française. Il s’agit bien d’un volume consacré aux monarchies, au pluriel : vous naviguerez entre la France, l’Espagne, l’Angleterre et les royaumes scandinaves, peu connus en France et auxquels Yves-Marie Bercé consacre une place de choix.
Le grand intérêt de ce stimulant essai de 170 pages est de faire surgir à la fois les traits communs des monarchies d’Europe à l’époque moderne, mais aussi d’en dégager des différences de nature. Dans l’ancienne Europe, le roi est avant tout un père ; la monarchie est une affaire de famille : cela est particulièrement visible en France et en Angleterre. Non seulement le monarque est le « père de son peuple », mais « les couches d’une reine sont une affaire d’Etat ». Sa grossesse appelle les prières de tout un peuple, et la naissance des enfants royaux est l’occasion d’impressionnantes festivités populaires. Père, le roi est aussi débiteur. Débiteur de justice – les sceaux français représentent le monarque rendant la justice –, il doit être accessible. Ainsi, l’Espagne unifiée verra les rois catholiques Isabelle et Ferdinand multiplier les voyages en leurs royaumes.
Yves-Marie Bercé insiste particulièrement sur le caractère sacré de la royauté, permanence européenne qui subsiste en dépit des fractures religieuses ; en témoignent les sacres ou couronnements français, anglais ou scandinaves. Enfin, tordant le cou à l’idée reçue assimilant monarchie et arbitraire, l’auteur rappelle que la vieille Europe, au temps de « l’absolutisme », soumettait le roi au droit – droit naturel et lois fondamentales – et connaissait une forme non négligeable de représentation des corps sociaux à travers les Etats généraux ou provinciaux, assemblées, Cortes espagnols et autres diètes polonaises.
Yves-Marie Bercé, Les Monarchies dans l’Europe moderne (XVIe-XVIIIe siècle), CNRS éditions, coll. « Biblis », 170 pages, 9 euros.
Tugdual Fréhel – Présent