La Pinacothèque de Paris avait donné en 2009 une intéressante exposition Valadon-Utrillo (voir Présent du 27 juin 2009). Celle que présente le musée de Montmartre pour les 150 ans de la naissance de Suzanne Valadon ne l’est pas moins, et montre quelques toiles d’André Utter, compagnon de Valadon et troisième entité du « trio infernal » de la rue Cortot.
La rue Cortot est une rue historique de Montmartre. Quelques pages de la bohème de la Butte s’y sont écrites. Erik Satie habita au n° 6 (1890-1898). Les numéros 12-14 abritèrent des ateliers d’artistes où travaillèrent Auguste Renoir (qui peignit La Balançoire dans le jardin), Othon-Friesz, Dufy…
Léon Bloy habita au 12, d’octobre 1906 à octobre 1908. Au moment d’y emménager, il se dit « bêtement séduit par l’abondante lumière d’un atelier », la maison étant « fétide et hargneuse ». « Nous avons un atelier et de la lumière, trop peut-être. Mais c’est tout. Le reste est laid, incommode, sale et même sinistre. » Emile Bernard y séjourna au même moment (1906-1909).
Suzanne Valadon s’y installa en 1912 avec son fils Utrillo ; André Utter les rejoignit en 1914 et y resta lorsqu’en 1926 Valadon et Utrillo déménagèrent 11 rue Junot.
C’est dire si cet immeuble avait vocation à s’intégrer dans le musée de Montmartre qui, ces dernières années, a connu des aménagements significatifs. Il est aujourd’hui un très bel ensemble, regroupant le 12 rue Cortot (avec l’atelier qui donne au Nord, restitué), la maison du Bel-Air, l’hôtel Demarne, et d’agréables jardins : les jardins Renoir.
Trois artistes
Cet endroit aujourd’hui paisible ne le fut pas toujours, comme Jeanine Warnod en témoigna : « Le trio infernal, Valadon, Utter et Utrillo, habite alors 12 rue Cortot dans un atelier où chacun peint comme il l’entend, boit, et s’engueule à l’unisson. On a cantonné Maurice dans une petite pièce donnant directement sur la rue Cortot d’où il jette de sa fenêtre ses pinceaux, ses couleurs et ses ébauches pour calmer sa rage due à l’ivresse. Le couple essaie de travailler en paix tout en se titillant dans le grand atelier aux baies vitrées donnant sur l’abondante végétation du jardin dominant les vignes. »
Après avoir planté ce décor, intéressons-nous aux peintures des uns et des autres.
Maurice Utrillo (1883-1955). – Le fils unique de Suzanne Valadon montra précocement des troubles psychiques, puis des troubles liés à l’alcool. Ses paysages montmartrois, qu’il peignit in situ et d’après cartes postales, ont fixé en partie l’image qu’on a de la Butte, avec ses murs tristes et ses ciels plombés. Se promener dans son œuvre, c’est marcher dans Montmartre : rue du Mont-Cenis, rue Norvins, Séveste, rue Ravignan… On revoit le magnifique tableau hivernal La Maison de Mimi Pinson sous la neige, on découvre des lithographies tirées à partir de ses gouaches, beaucoup plus colorées, presque ensoleillées.
André Utter (1886-1946). – Ami d’Utrillo, il devint le compagnon de sa mère. On oublie souvent qu’il peignait, et c’est compréhensible : il n’y a pas vraiment de personnalité ni d’unité dans les toiles présentées, où l’on relève tout au plus un fort portrait d’Utrillo (1925) ou une intimiste nature morte (avec assiette de cerises et tasse, de la porcelaine blanche et bleue). Mais globalement la touche n’est pas belle, à tendance savonneuse.
Suzanne Valadon, Portrait de famille, 1912.
De gauche à droite :
André Utter, Suzanne Valadon, Maurice Utrillo ;
à l’arrière-plan,
la mère de Suzanne. Centre Pompidou.
Suzanne Valadon (1865-1938). – L’ancien modèle a dessiné avant d’être peintre. « J’ai dessiné follement pour que quand je n’aurai plus d’yeux, j’en aie au bout des doigts. » Degas la met sur la voie de la gravure. Ses nus, ses toilettes de jeunes femmes ou d’enfants sont de remarquables estampes. En peinture, elle a d’heureux nus (« au canapé rouge », « à la draperie »), d’autres malheureux (La Tireuse de cartes, lourde composition). Le portrait d’Erik Satie (qui fut son amant au début des années 1890) est très beau avec ses teintes Renoir ; le Portrait de famille où elle se place au centre en dit long sur la complexité des rapports entre les différents protagonistes, regroupés pour le tableau tout en ayant l’air isolé. Valadon est aussi un peintre des chats (Raminou sur un coussin bleu), des bouquets (Fleurs sur un guéridon)… Un bon peintre, à apprécier ici dans ses murs.
Valadon, Utrillo & Utter à l’atelier 12 rue Cortot (1912-1926). Jusqu’au 15 février 2016, musée Montmartre – Jardins de Renoir
Samuel Martin – Présent