Quarantième anniversaire / Playmobil, en avant la légende !

Elles sont un peu plus de trois à voir le jour chaque seconde. Environ 100 millions chaque année. Quelque 2,7 milliards depuis leur création en 1974. Si elles se tenaient par la main, elles feraient trois ou quatre fois le tour de la Terre… Ce sont les figurines Playmobil, qui soufflent cette année leurs quarante bougies, pour quarante ans d’un succès croissant et jamais démenti auprès des enfants comme de leurs parents. Retour sur la réussite exceptionnelle d’une entreprise familiale allemande qui, non contente de tenir tête au lobby asiatique du jouet, bat chaque année des records de ventes et inonde le marché mondial de ses productions.

Une grande aventure familiale

Que de chemin parcouru depuis le petit atelier bavarois de Fürth, dans lequel Andreas Brandstätter produisait ses serrures pour boîtes à bijoux ! C’est lui qui fonda la société en 1876. Celle-ci fut rebaptisée Geobra (acronyme de Georg Brandstätter) lorsque son fils Georg lui succéda en 1908. Devant le succès rencontré alors par ses tirelires, caisses enregistreuses et autres balances en métal pour magasins de jouets, Georg organisa également en 1921 le déménagement de la société à Zirndorf, près de Nüremberg, où le siège social de l’entreprise se trouve toujours.

L’arrivée chez Geobra de Horst Brandstätter, en 1952, marquera le début d’une ère nouvelle. Alors que l’entreprise produisait jusque-là des jouets en métal, Horst fera en effet du plastique sa matière préférée et s’orientera vers les jouets d’extérieur : voitures et tracteurs à pédales, bateaux, ou encore cerceau « hula-hoop » qui vaudra à la marque un succès phénoménal en 1958. Mais la hausse du prix du pétrole, au début des années 1970, « impactera » directement l’entreprise. Conscient qu’il faut dorénavant réduire la charge de la matière première en produisant des jouets plus petits, Horst demandera alors à Hans Beck (1929-2009), son ingénieur concepteur, de plancher sur un nouveau concept. Et Beck va révolutionner le monde du jouet.

Jusque-là, en effet, les figurines étaient le plus souvent figées dans une attitude et les pieds moulés dans un socle pour leur permettre de tenir debout. Or, Beck va créer une figurine articulée. «  Ebéniste de formation, expliquait Cécile L’Hermite, responsable marketing Playmobil, dans la Revue des marques (n° 71, juillet 2010), il fabriquait des jouets pour ses frères et sœurs. Il va imaginer un concept, à partir de l’observation des enfants, dans lequel c’est l’enfant et non l’adulte qui est le géant donneur d’ordres et metteur en scène des actes quotidiens de la vie. » Après moult croquis et études, Beck donne ainsi naissance à un petit personnage mobile, d’une taille de 7,5 cm, idéale pour tenir dans la main de l’enfant, d’un poids de dix à quinze grammes, donc peu consommateur de plastique, et composé de sept parties assemblées alors manuellement.

Le 5 février 1972, Geobra dépose un brevet pour la figurine, puis lance la marque Playmobil en 1974. Le pari est cependant loin d’être gagné. Les nombreux personnages et accessoires nécessitant des investissements très lourds dans les moules, le risque financier est d’abord élevé. Et surtout, présentés au salon international du jouet de Nuremberg en février 1974, les trois premières figurines – l’Indien, le chevalier et l’ouvrier – sont très mal accueillies par les professionnels. Seul un grossiste néerlandais osera y croire et passera commande. Bien lui en aura pris. Car, à l’automne 1974, lorsque les premières boîtes feront leur apparition dans les magasins de jouets, les enfants se les arracheront. En trois ans, les ventes passent ainsi de vingt millions à plus de cent millions de marks ! De ce succès, les dirigeants de Playmobil tireront une leçon : écouter en priorité les enfants et leurs parents.

Alors que les univers explorés s’élargissent au fil du temps (policiers, pompiers, cow-boys, pirates…), que des véhicules et des bâtiments font progressivement leur apparition, le petit personnage ne cesse de s’améliorer. En 1976, des figurines féminines rejoignent le monde Playmobil. En 1977, le premier animal – un chien – fait son apparition dans le catalogue (aujourd’hui, 149 espèces d’animaux existent chez Playmobil !) En 1978, c’est l’arrivée du bateau pirate, l’un des plus grands succès de la marque, vendu à plus de 16 millions d’exemplaires. La même année, Playmobil lance une version « color » : les jouets sont blancs et fournis avec des feutres qui permettent aux enfants de les colorier. En 1981 apparaissent les enfants, hauts de 5,5 cm. En 1982, grâce aux progrès de la technologie, les figurines ont les mains de couleur chair et qui pivotent. En 1983, des personnages phosphorescents (le fantôme) sont introduits dans la collection. En 1984, ce sont les bébés, de 3,5 cm, qui complètent la série. En 2006 apparaissent les footballeurs avec une jambe de tir mobile.

En 2011, c’est le lancement des Playmobil « Figures » : les figurines sont démontées et les enfants peuvent les assembler en suivant la notice de montage. Comme la plupart des membres et accessoires ont été conçus pour être adaptables entre eux, les enfants peuvent créer autant de personnages qu’ils le souhaitent… Parallèlement, la marque lance en 1990 la gamme Playmobil 1. 2. 3 spécialement conçue pour les tout-petits à partir de 18 mois.

Bref, ce sont plus de 3 995 personnages différents qui ont été créés depuis 1974. Et le succès ne se dément pas. Gagnant chaque année des parts de marché, Playmobil accumule également les récompenses internationales. Ainsi la très belle série Egypte a-t-elle, à elle seule, engrangé en 2008 près d’une dizaine de prix !

Deutsche Qualität und Tradition !

Cette réussite est d’autant plus méritoire que Playmobil s’obstine depuis des années à produire européen, quand plus de 80 % des jouets sont fabriqués en Asie. Avec les conséquences que l’on sait : le retrait du marché, régulièrement, de produits défectueux, comme cela a été le cas pour le géant américain Mattel en 2008. Une expérience de délocalisation en Chine a bien été tentée en 2003 mais s’est révélée catastrophique. En effet, expliquait Andrea Schauer, actuelle directrice générale de Playmobil, dans un entretien accordé au Point en 2007 : « Nous ne réalisions aucune économie. Le personnel était bien moins qualifié et les délais de livraison, huit semaines de la Chine à l’Europe, étaient beaucoup trop longs. » La marque craignait en outre de perdre le contrôle de la production. Comme l’expliquait encore Andrea Schauer, dans un entretien accordé cette fois à Novethic en 2008 : « Notre grand avantage par rapport aux entreprises qui sous-traitent en Chine est que la fabrication des jouets se fait en Europe, principalement à Dietenhofen, qui se trouve à vingt kilomètres du siège. Aussi le contrôle permanent par nos équipes ne pose aucun problème. De plus, un institut indépendant accrédité contrôle également nos produits. »

Garder la main sur la production et la qualité : c’est l’obsession du groupe. Le principe, chez Playmobil, est de concevoir des jouets avec lesquels l’enfant pourra jouer en toute sécurité et le plus longtemps possible. Aujourd’hui, les grosses pièces sont ainsi fabriquées à Dietenhofen (60 % de la production), les figurines à Malte (près de 100 millions par an) et les petites pièces sont triées à la main et rangées dans leurs sachets à Cheb, en République tchèque. La marque dispose également d’une usine à Onil en Espagne. Le tout sous contrôle permanent de la direction.

En cela, le site de production de Dietenhofen est un modèle de modernité et de sécurité. Dans cette usine où 850 personnes produisent chaque jour environ 6 millions de pièces et 65 000 boîtes de Playmobil, où 17 000 tonnes de granulats de plastique sont fondues chaque année, et où quelque 375 moules à injection de différentes tailles œuvrent sans cesse, on trouve un laboratoire de tests intégré pour les essais analytiques, afin de garantir la meilleure qualité et la meilleure sécurité possibles. Un écart de poids de quelques milligrammes étant le signe d’une anomalie, les pièces sont systématiquement pesées avec précision à la fin du cycle de production. Et quelques-unes, choisies au hasard, subissent un test de contrôle qualité.

La même prudence anime Playmobil en matière d’innovation. Alors que le marché est depuis des années envahi par toutes sortes de monstres et autres horreurs issus de la « culture » manga imposés par le lobby asiatique du jouet, Playmobil n’entend pas céder aux modes ni aux licences. Ce qui ne l’empêche pas de faire l’unanimité chez les enfants avec des thèmes traditionnels et dans un esprit sain. Chaque année la marque, qui renouvelle un tiers de sa collection, prend le temps de concevoir un nouveau thème. Surtout quand il concerne un univers historique pour lequel elle veut approcher de la perfection. Ainsi retrouve-t-on, sur les fresques de sa pyramide, la reproduction exacte des motifs de la tombe de Nefertari !

Enfin, cette obsession de garder la main et aussi son âme se retrouve dans la façon même dont Horst Brandstätter conçoit l’entreprise. C’est-à-dire comme une famille. Chez Playmobil, en effet, le turnover est quasi inexistant. On conserve précieusement les quelque 200 lettres d’enfants écrites chaque mois à la direction. Et l’on demande aux candidats à l’embauche s’ils ont joué aux Playmobil lorsqu’ils étaient enfants… La structure financière du groupe, elle-même, lui assure une indépendance vis-à-vis des marchés financiers. Parce qu’une introduction en bourse l’obligerait à satisfaire financièrement et dans de très brefs délais des groupes d’actionnaires, mais aussi à prendre des risques importants afin de financer une expansion imposée, Horst Brandstätter s’y est toujours opposé. Il a même fixé dans son testament les fondements d’une fondation qui, à sa mort, protégera l’entreprise des assauts des fonds spéculatifs.

 

« Playmobilmania »

Le groupe n’en est pas moins aujourd’hui le plus grand fabricant de jouets en Allemagne avec une part de marché de 8 %. En 2010, pour la première fois, les ventes de Playmobil atteignaient le chiffre record d’un demi-milliard d’euros, avec un chiffre d’affaires de 507 millions d’euros. Depuis, la marque bat tous les ans des records. En 2012, avec 55 millions de boîtes vendues dans le monde, Playmobil affichait un chiffre d’affaire de 531 millions d’euros. En 2013, 552 millions d’euros, soit une augmentation d’environ 4 %. En même temps, la part d’exportation du groupe – qui exporte dans plus de 80 pays à travers le monde, en tête desquels la France – passait de 70 % en 2012 à 72 % en 2013. Enfin, alors que Playmobil employait 3701 salariés en 2012 (dont 2016 en Allemagne), elle en comptait 4069 en 2013 (dont 2303 en Allemagne).

Le petit personnage est aujourd’hui entré dans la légende. Au point qu’en 2009-2010, à l’occasion de son 35e anniversaire, les Arts décoratifs devaient lui consacrer une exposition intitulée « Il était une fois Playmobil ». On ne compte plus les sites internet et autres blogs destinés aux collectionneurs. Et certaines pièces sont devenues de véritables collectors que l’on s’arrache à prix d’or.

En même temps, le groupe a toujours su s’adapter aux évolutions. Alors que les parcs de loisirs pour enfants se multipliaient, la marque inaugurait en 2000 le premier Playmobil Funpark à Zirndorf, avec la devise « s’amuser en bougeant » : les enfants vivent leurs histoires pour de vrai dans ce décor Playmobil grandeur nature, qui attire environ 700 000 visiteurs chaque année. L’idée d’encourager les enfants à se dépenser est d’ailleurs une constante chez Horst Bradnstätter. Sa fondation offre en effet chaque année des Playmobil grandeur nature pour les aires de jeux des écoles allemandes afin de développer la motricité des enfants. Depuis l’expérience de Zirndorf, plusieurs Funparks ont ouvert, dont un à Fresnes (94), qui a accueilli plus de 320 000 visiteurs en 2013.

La marque n’a pas non plus manqué la révolution internet : son site est, pour les enfants, véritablement fabuleux. On y retrouve bien sûr tous les modèles du catalogue mis en scène. Mais aussi toute une série de microsites très conviviaux consacrés chacun à un thème particulier, où l’enfant trouvera des petites animations, des jeux, des coloriages à imprimer…

Enfin, l’écrit n’est pas oublié : depuis plus de deux ans, la marque diffuse Playmobil Magazine, un bimestriel présentant à chaque numéro les nouveautés, des histoires sous forme de bandes dessinées, des jeux et coloriages, des posters et une petite surprise. En général, une figurine en rapport avec le thème du numéro.

Lu dans présent

Related Articles