Tu parles bien la France ! de Julien Barret

Dans son dernier ouvrage Tu parles bien la France, Julien Barret, journaliste et linguiste, se lance à l’abordage de la langue française « classique », qui aurait le tort, selon lui – ce qui est faux –, de refuser d’évoluer, et ainsi, horresco referens, de constituer une barrière « discriminante ». Le titre lui-même de son essai, à vrai dire assez énigmatique, comporte tous les signes lexicaux de l’idéologie démagogique du moment : d’abord le tutoiement, devenu si pénible par la promiscuité moite qu’il impose, le prédicat acrobatique, qu’on mettra sur le compte d’une tentative pittoresque de style « décoiffant », comme on en trouve dans les territoires perdus de la République, et l’insertion – on se demande pourquoi – de l’adverbe valorisant « bien », qui ne correspond à rien de tangible.

Julien Barret s’en prend donc à ce qui est devenu la cible des « progressistes » : l’orthographe et les règles. La langue doit servir à « s’exprimer ». On a toujours quelque chose à dire, même quand ce n’est rien. Néanmoins, faut-il rappeler qu’il faut des mots pour s’exprimer, et que ces vocables soient clairs et reconnus pas les locuteurs ? Écrire « spontanément », si l’on n’est pas rompu à l’usage de la langue, permet-il de dépasser l’épanchement de la bouillie du cœur remuée par quelques remugles de clichés sortis du fond sans fond de la télévision (qui n’a rien à voir avec la langue célinienne, si travaillée) ?

Julien Barret est résolument favorable à la guillotine langagière. Plus de langue bourgeoise, d’un français « correct » qui serait l’apanage des nantis ! Hugo voulait « mettre un bonnet rouge au vieux dictionnaire », Barret veut les décapiter.

Causons donc ! Que la foule bigarrée prenne le pouvoir dans ce qui reste l’un des derniers bastions de notre nation : la langue française ! Une chance pour la France, assurément !
Mais supprimez les écluses, abattez les cloisons, et la ruine s’étendra aussi à la langue, empêchant les francophones de se comprendre. C’est ce que dénonçait, dans un ouvrage récent – Le bon air latin (Fayard) -, le grand spécialiste de la littérature médiévale, Michel Zinc. Selon Julien Barret, il faut laisser faire. C’est la variante linguistique du libéralisme économique, de la « main invisible ». La langue invisible ! Tout va s’harmoniser ! Sauf que les locuteurs français ne sont plus si français que ça, qu’il y a un effondrement généralisé de la civilisation française, que la sous-culture marchande arase toute finesse, toute originalité, toute subtilité. Sauf que notre pays est agressé, comme d’autres, par la déferlante barbare du pataquès international, de l’ignorance programmée et de la mort dite « moderne ».

La vie, c’est la maîtrise, notamment de la mémoire, de l’expression et d’un avenir raisonné, c’est-à-dire le changement dans la continuité ; l’évolution de la langue ne peut se réaliser que dans la sauvegarde de son identité, de son âme. La livrer aux caprices sans bornes, c’est la tuer.

Claude Bourrinet – Boulevard Voltaire

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