Lettre ouverte aux évêques de France – Yves de Kerdrel

Que les évêques interviennent dans le débat public, quoi de plus normal. Le problème, c’est qu’à chaque fois qu’ils prennent la plume c’est pour laisser parler leur hémisphère gauche.

L’Église de France compterait 10 millions de pratiquants occasionnels et un peu plus de 3 millions de pratiquants réguliers. C’est à ces derniers qu’a été remis, tout récemment, une déclaration du conseil permanent de la Conférence des évêques de France, intitulée “2017, année électorale, quelques éléments de réflexion”. Il s’agit d’un document de cinq pages, destiné à aider les catholiques dans leur choix à l’occasion des prochains scrutins. Non seulement il n’est pas certain que ce texte aura un impact sur leurs votes. Mais surtout, il faut espérer qu’ils ne tiendront pas compte de ce déroulé mièvre de banalités pathétiques. Que les évêques interviennent dans le débat public, quoi de plus normal, même si l’Évangile rappelle que le catholicisme n’a pas de vocation temporelle : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » À l’occasion d’une messe solennelle à Notre-Dame de Paris en hommage au père Jacques Hamel, le cardinal Vingt-Trois n’a pas manqué de dire ses quatre vérités aux ministres assis au premier rang. Les évêques pourraient même aller plus loin en se joignant au défilé pour la famille que La Manif pour tous organise, ce dimanche, à Paris. Le problème, c’est qu’à chaque fois qu’ils prennent la plume, c’est pour laisser parler leur hémisphère gauche, comme s’ils n’avaient pas vu changer la société française, comme s’ils restaient sourds et aveugles à son angoisse et comme si le seul problème qui compte à leurs yeux est le vote de certains catholiques en faveur du Front national.

L’un des sept chapitres de cette lettre que Mgr Gaillot aurait pu signer est consacré aux migrants. Un sujet que l’on sait cher au souverain pontife et sur lequel il n’est pas suivi par l’ensemble de son troupeau. Le problème, c’est que là où l’Évangile nous dit de faire notre devoir de chrétien, les évêques de France font de la surenchère stupide. D’une part, ils demandent que ces réfugiés soient reçus en France dans des conditions économiques humaines. Comme si nous avions les moyens d’accueillir toute la misère du monde alors que nous ne savons même pas gérer notre quart-monde, nos déclassés et tous nos exclus. D’autre part, ils nous expliquent, sûrement en “experts”, que « la seule recherche de solutions économiques est vouée à l’échec si rien n’est entrepris pour la promotion culturelle, promotion d’une culture enracinée, qui donne ou redonne le sens d’une vie collective nationale ». Comment ne pas lire là la promotion d’un multiculturalisme qui a échoué partout, la négation de notre identité et l’abandon de nos traditions pour un melting-pot au goût de soupe culturelle. D’ailleurs, dans un autre paragraphe, nos chers évêques passent par pertes et profi ts les racines chrétiennes de la France “fille aînée de l’Église”, préférant évoquer le « fait religieux » comme on dit dans les think tanks à la mode.

Mais le “clou” de ce tract hors-sol est le passage sur la solidarité. Après avoir fait un constat digne de Piketty sur la montée des inégalités, les successeurs des apôtres font part de leur inquiétude face au retour d’un « libéralisme sans contrôle » et sur la sauvegarde de notre modèle social. Une manière d’attaquer — en creux — les programmes des différents candidats de droite. Une manière aussi de donner raison à tous ceux qui souhaitent le statu quo, oubliant que l’assurance chômage fait face à un déficit record et que la dette de la Sécurité sociale sera encore payée, dans vingt ans, par nos enfants ou petits-enfants. C’est une fâcheuse habitude de la part de nos évêques que de parler pour ne rien dire d’intelligent qui concerne le débat public. Déjà, en 1973, ils avaient cru bon de s’indigner de la dissuasion nucléaire mise en place pour assurer notre défense et notre sécurité. À l’époque, l’amiral de Joybert leur avait rétorqué un fameux : « Messieurs de la prêtrise, occupez-vous de vos oignons. » Tout change donc, mais tout reste, hélas, pareil.

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