Le Bon Gouvernement de Pierre Rosanvallon

Dans un ouvrage très dense, passionnant de bout en bout, Pierre Rosanvallon replace la crise démocratique actuelle dans la longue histoire des systèmes de représentation. Pierre Rosanvallon est un intellectuel comme on n’en fait plus guère, un savant engagé. Professeur au Collège de France, il mène des recherches inlassablement sur l’histoire et la pratique de la démocratie. Militant au meilleur sens du terme (il fut à la CFDT l’un des théoriciens de l’autogestion), il a fondé en 2014 le Parlement des invisibles, série de témoignages sur des “vies minuscules, diminuées, niées, implicitement méprisées” qui, d’un jeune chercheur à une caissière de supermarché, un livreur, une standardiste, donnent lieu à des publications dans la collection “Raconter la vie”.

En France peut-être plus qu’ailleurs, les milieux populaires et provinciaux sont privés de représentation symbolique et d’accès régulier à une vie médiatique qui valorise les vedettes, politiques, sportifs, artistes. Cette privation de reconnaissance, patente depuis le repli du Parti communiste, explique, autant que la crise économique, les succès du Front national.

Pour Pierre Rosanvallon, la réintroduction de la diversité dans un souci de “faire société” est l’un des multiples points qui devraient permettre de rénover notre système démocratique aujourd’hui atrophié, réduit pour l’essentiel à l’élection. “Nos régimes peuvent être dits démocratiques, mais nous ne sommes pas gouvernés démocratiquement”, écrit l’historien et sociologue, qui décrit longuement l’avènement d’un régime présidentiel ultrapersonnalisé.

La longue histoire des systèmes de représentation
Le malaise se noue sur cette élection présidentielle, seul rendez-vous civique qui passionne les Français et ne cesse pourtant d’engendrer des déceptions. La perspective désenchantée d’un match retour en 2017 Hollande-Sarkozy-Le Pen (voire Mélenchon et Bayrou) est un symptôme parfait que quelque chose ne tourne plus rond dans la démocratie française.

Le plus simple serait de croire qu’à chaque fois c’est le président élu qui ne se montre pas à la hauteur, s’empressant de trahir toutes les promesses qui lui ont permis d’être choisi, aussi bien sur le plan des résultats économiques que des bonnes pratiques démocratiques. Mais la répétition des mêmes frustrations interroge.

Dans un ouvrage très dense, passionnant de bout en bout, Pierre Rosanvallon replace la crise démocratique actuelle dans la longue histoire des systèmes de représentation. Après tout, le régime présidentiel personnalisé est une invention récente (en France avec la Ve République), renforcé aujourd’hui par le règne de l’ultramédiatisation. Il fut un temps, surtout après les Lumières, où la loi était première et les gouvernants des serviteurs et non des princes. Pendant la Révolution, il était inconcevable de se présenter à une élection. C’était le temps de “l’impersonnalité”.

Révolution culturelle
Rosanvallon démontre que ce mal-gouvernement, ce rapport perverti entre gouvernants et gouvernés, est causé par le déséquilibre croissant avec un président, et un exécutif, qui écrase les autres pouvoirs. Il compare les divers systèmes, tous marqués par la présidentialisation, même en Angleterre ou en Allemagne où le Premier ministre gouverne. Son analyse des architectures aux antipodes des Parlements britanniques (l’étroitesse y interdit tout discours écrit) et français (marqué par une pompe solennelle) est réjouissante.

Rosanvallon cherche des moyens de revitaliser l’exercice démocratique qui ne peut plus se résumer à un rendez-vous tous les cinq ans et entre-temps à des poussées de grognes catégorielles. Au-delà de la crise de la représentation, il ouvre des pistes (lisibilité, responsabilité, réactivité) pour une démocratie qui ne soit plus seulement d’autorisation mais d’exercice voire d’appropriation.

Cela suppose des pactes de confiance ; une “parrêsia”, parler-vrai opposé aux rhéteurs possédant tous les outils du mensonge politique ; une intégrité qui suppose une pratique rénovée de la transparence… Et surtout l’institutionnalisation d’un véritable quatrième pouvoir sur lequel Rosanvallon promet de revenir dans un prochain ouvrage. Mais au-delà d’une ingéniérie politique, c’est à une véritable révolution culturelle que devra, tôt ou tard, se résoudre notre République monarchique et jacobine à bout de souffle.

Le Bon Gouvernement, Pierre Rosanvallon, Le Seuil, 416 pages, 22,50 €.

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