Notre patrimoine noyé entre le tourisme de masse, la ludification de la culture et ses riches sponsors…
Des millions de Français – près d’un sur cinq ! – vont se presser dans nos lieux « patrimoniaux » cette fin de semaine. « J’ai fait l’Elysée », « J’ai fait un petit château pas loin d’ici, que presque personne ne connaît ! », « J’ai fait la nouvelle usine de recyclage », chacun pourra alimenter la discussion autour de la machine à café lundi… La fièvre du tableau de chasse du touriste sévissant particulièrement lors de ces désormais célèbres journées européennes du patrimoine.
Il faut dire qu’avec 17 000 lieux ouverts, tout le monde peut y trouver son compte. Et avec 26 000 animations, on peut même trouver de quoi s’amuser. Il ne manquerait plus que la culture soit à découvrir pour la seule soif d’apprendre et de comprendre d’où nous venons, qui nous sommes, ce qu’ont construit et inventé ceux qui nous précèdent. Mais non, il faut du ludique, de l’intuitif et du coopératif. Tous les musées proposent d’ailleurs désormais des « supports numériques », exit les vieux panneaux explicatifs !
Nous ne reviendrons pas sur le jeunisme, maladie qui frappe tous les secteurs. Une phrase quand même : « Tout sera mis en œuvre, partout en France, pour donner, grâce à une programmation dédiée et adaptée à chacun, quel que soit son âge, les moyens de s’approprier le patrimoine dans toute sa diversité. » Le mot sacré est lâché : diversité. En même temps, nous pouvions toujours rêver pour lire l’unité civilisationnelle sous la plume du ministère de la Culture de Macron !
Notons que ces journées sont organisées à l’échelle européenne. « Avec 50 pays participants », peut-on lire sur les affiches. 50 pays ! On se demande où le ministère de la Culture place les frontières de l’Europe ! Quant au thème européen, le voici : « Patrimoine et nature : un paysage de possibilités. Tout sera mis en œuvre pour mettre en avant la façon dont l’environnement façonne notre existence et nos modes de vie, contribue à notre bien-être et à la croissance socio-économique de nos pays. » La croissance ! L’autre mot sacré est également lâché… Mais bon, il faut bien que les sponsors s’y retrouvent, car ces journées, si elles sont coordonnées par le ministère de la Culture, sont notamment financées par Lidl, le Crédit Agricole, la Fondation d’Entreprise Michelin, la RATP, Phenix Digital, la Journée du transport public, Radio France, France Télévisions, le magazine Art & Décoration et Toute l’histoire. Niveau culture, on a vu mieux, mais on comprend l’importance de la croissance dans le thème du patrimoine… Et en achetant des points de moralité, ces entreprises sont mises en avant sur les sites gouvernementaux et autres supports de cette journée, fréquentée par plus de 12 millions de Français… Enfin, sans être dupes de tout cela, visitons donc les joyaux de notre histoire ce week-end. Eux, ils valent le détour !