“Le Dictator Pope a fait l’objet d’un âpre débat dans le monde anglo-saxon, tout spécialement aux États-Unis. Lorsque le pseudonyme Marcantonio Colonna fut dévoilé (avec son accord) et que l’on apprit que l’auteur n’était autre qu’Henry Sire, historiographe renommé de l’Ordre de Malte et fin connaisseur de la Ville éternelle, le débat redoubla. Au point qu’Henry Sire fut suspendu de l’Ordre de Malte pour lequel il avait tant fait. La sanction paraissait d’autant plus disproportionnée que les membres éminents de l’ordre qui avaient été convaincus de violer la morale catholique, en offrant des contraceptifs sous couvert d’aide au développement, non seulement n’avaient écopé d’aucune sanction, mais avaient été soutenus par le cardinal Parolin, secrétaire d’État, contre leurs supérieurs légitimes (on trouvera dans ce livre un récit passablement consternant de cette affaire et de ce qu’elle révèle du mode de gouvernement papal aujourd’hui) ! Il nous a semblé important que le public français puisse avoir également un accès à ce débat – et, plus encore, aux abondantes sources qu’apporte Henry Sire pour mieux comprendre le pontificat actuel.
Il importe cependant de préciser d’abord que ce livre ne recense pas l’ensemble des interrogations de nombreux catholiques devant un pontificat à bien des égards si étrange – tantôt balayant d’un revers de main, avec une légèreté déconcertante, la foi et la morale les plus traditionnelles, tantôt n’hésitant pas à descendre courageusement dans l’arène pour dénoncer le caractère luciférien de certaines politiques nihilistes contemporaines. En particulier, un lecteur français sera sans doute surpris de trouver ici aussi peu de lignes relatives aux questions de l’immigration. De même, un lecteur américain aurait pu être surpris de trouver si peu de lignes consacrées à l’encyclique Laudato si’ et à l’écologie. C’est que l’auteur s’est concentré sur les sujets qui ne divisent pas seulement les catholiques, mais qui, plus profondément, inquiètent jusqu’au sacré collège – et donc les questions dogmatiques et sacramentelles y sont évidemment plus représentées que les questions relatives à l’action politique, par nature soumises à la vertu de prudence.
Il convient de préciser également que ce livre n’est pas un « brûlot » anti-pontifical, ni une invitation au schisme. Écrit par un catholique, traduit et édité par des catholiques, il maintient fermement la nécessité de l’obéissance liale au Pontife romain pour vivre en conformité avec le dessein de Dieu. Mais cette obéissance n’est pas de l’idolâtrie. Tout enseignement pontifical n’est pas magistériel. Tout enseignement magistériel n’est pas infaillible. Et tout enseignement infaillible n’est pas non plus impeccable, ni assuré d’être promulgué nécessairement dans un style parfait et au moment le plus opportun. Il est légitime de s’interroger sur le style de gouvernement du pape régnant, comme de critiquer telle de ses prises de position.
Bien souvent, les catholiques français, orphelins d’autorité politique légitime depuis la Révolution, se sont réfugiés dans l’ultramontanisme le plus radical. Cela se comprend aisément, mais, si le gallicanisme posait de redoutables problèmes doctrinaux, une « papolâtrie » inverse n’en poserait pas moins. Non seulement ce livre n’est pas un brûlot pamphlétaire, mais son caractère calme et factuel renforce son aspect glaçant.
En le refermant, on ne peut manquer d’être saisi par le vertige devant le désastre. Ce gouvernement d’un pape « politique », dont beaucoup attendaient tant pour la réforme de l’Église, et tout spécialement de la Curie, afin de faire face aux exigences de la nouvelle évangélisation, se révèle, après cinq années, avoir favorisé la promotion de prélats notoirement corrompus, financièrement ou moralement, avoir détruit des institutions, comme l’Institut Jean-Paul II ou l’Académie pontificale pour la vie, qui avaient été des rocs et des phares pour la doctrine catholique traditionnelle, avoir ravagé des ordres ou des diocèses prospères comme les Franciscains de l’Immaculée ou le diocèse de Ciudad del Este – sans parler du refus de répondre aux questions parfaitement légitimes de cardinaux, dont personne ne conteste la rectitude et l’intégrité morale et intellectuelle, sur l’interprétation d’Amoris laetitia. Tout ceci n’est, hélas, pas contestable.
Le pire est que la pression médiatique risque fort d’être à son comble quand les investigations auront progressé sur la gestion calamiteuse du cardinal Maradiaga, proche du Pape s’il en fut et qui, sous couvert d’une « Église des pauvres », a jeté l’argent par les fenêtres, non sans s’attribuer des salaires indécents. Ou lorsque les investigations auront progressé sur le possible détournement des dons des fidèles pour la campagne de la très corrompue équipe d’Hillary Clinton.
On attendait un grand réformateur pour nettoyer les écuries d’Augias ; il est à craindre que ce gouvernement qui doit tant au populisme péroniste ait aggravé de façon in- quiétante la situation de l’Église universelle.
Souhaitons que ce livre aide les catholiques français, d’une part à mieux comprendre les sources et les grands principes du pontificat du pape François et, d’autre part, à adopter une attitude juste à l’égard du Pontife romain, faite d’obéissance, d’écoute attentive et respectueuse, de vénération même pour celui qui, par fonction, est successeur de saint Pierre et vicaire du Christ – mais d’une obéissance, d’une écoute et d’une vénération adultes et raisonnables. Il n’est pas sain que toute déclaration faite par le pape répondant à brûle-pourpoint à un journaliste dans un avion soit traitée comme un canon conciliaire. Il est, au contraire, parfaitement logique de considérer que ces conférences de presse savamment improvisées ruinent la crédibilité de la parole du Vicaire du Christ, qui y dit tout et le contraire de tout avec une facilité déconcertante – s’obligeant parfois à corriger ultérieurement ses propres propos, comme lorsqu’il prit brutalement la défense d’un évêque chilien ayant protégé des prédateurs sexuels.
Cette nécessaire distance critique à l’égard de propos et d’actes objectivement contradictoires ou incompréhensibles nous conduira sans doute à redécouvrir avec profit la sagesse des anciens scolastiques qui déclaraient : In necessariis unitas, in dubiis libertas, in omnibus caritas.”