L’ombre rouge de la vieille ville de François Weber

Né en mai 1968, avant d’entrer dans la congrégation de l’Oratoire, d’être ordonné prêtre en 1999 et de devenir aumônier d’étudiants, responsable de la chorale Jubilate Deo et curé de la paroisse Saint-Epvre à Nancy, François Weber a été un enfant passionné d’écriture : « J’écris depuis l’âge de 8 ans. C’est un de mes instituteurs, M. Conrard, qui m’en a donné le goût et m’a encouragé ». Puis, il fut un étudiant de lettres assidu non seulement en littérature mais aussi en rock, science fiction et films fantastiques. D’après ses écrits, on peut supposer qu’il fut également un fidèle lecteur des auteurs exorcistes, ethnologues et psychiatres, qui traitent sérieusement de la magie et des influences démoniaques dans notre monde. Écrivain né, il goûte la saveur des mots.

Dans L’ombre rouge, François Weber savoure le Français régional lorrain que parle la jeune policière, et s’amuse à créer un Italien s’efforçant de parler français, le P. Ricardo, vieil exorciste expérimenté, muni d’un mandat de Rome en bonne et due forme.

L’écrivain avait déjà dans ses tiroirs dix manuscrits et autant de refus de maisons d’édition, lorsqu’il entend parler de « Festivités Renaissance » qui devaient se dérouler à Nancy. Il s’agissait de »faire connaitre la Vieille ville », où se trouve justement sa paroisse. Ainsi naît L’ombre rouge de la Vieille Ville. Dans l’avant-propos, il nous assure qu’il ne s’agit que d’un parcours « divertissant » dans les vieilles rues de Nancy, « assaisonné de fantastique » mais que « ce roman n’a aucune prétention historique, philosophique ou théologique ». On ne le croit qu’à moitié. Un prêtre verrait-il un simple « assaisonnement » dans des faits qui révèlent, s’ils sont avérés, l’action de Satan dans le monde ? Jouerait-il avec le feu ?

Bien-sûr aucune personne sensée ne prendrait au sérieux cette histoire d’un chevalier mort en 1477, au cours de la bataille qui mit fin à la vie de Charles le Téméraire. Celui-ci, victime d’un rite magique très ancien aujourd’hui oublié, fut empêché d’accéder à la Vie éternelle. Le chevalier « revient » précisément au moment où s’éteint Otto de Habsbourg, potentiel dernier duc de Lorraine et empereur d’Autriche. On a lu pas mal d’histoires de maisons hantées, mais de villes hantées, jamais. Des histoires de fantômes, oui, mais ce sont en général de fantômes plaintifs, des âmes en peine demandant à être soulagées par des messes. La caractère exceptionnel de celui-ci consiste en sa nature de fantôme agressif, galopant à cheval et tuant à coups de lance des Nancéiens d’aujourd’hui pour venger les Bourguignons de jadis. Effectivement, il s’agit certes d’un assaisonnement fantastique d’une visite guidée des vieilles rues de Nancy.

Mais il y a au cœur de cette visite quelque chose de parfaitement sérieux. Les pages 118 à 126 narrent le récit de l’exorcisme de Sonia, possédée suite à la fréquentation d’une secte et qui est devenue depuis sa délivrance une experte efficace, à laquelle la police a recours lorsque la raison raisonnante ne suffit pas à expliquer les faits. Le récit exécuté par son mari Charles Chevrières et adressé au curé de l’église Saint-Épure, fort sceptique en matières de diableries, semble sorti tout droit d’un livre du P. Amorth, le célèbre exorciste de Rome. « Ce que je vais vous dire est la stricte vérité », dit Charles. Désormais, nous le croyons.

On peut supposer que l’auteur partage les opinions sérieuses et sensées de ce double du P. Amorth qu’est le P. Ricardo : pour lui, la raison n’est pas un bon guide quand elle n’est pas alliée à la foi. Le diable donne des idées « raisonnables » : le nazisme détruit le peuple élu par la raison, le communisme détruit des populations. Tant de morts, tant ! Les États ne font pas de rites magiques, ils suivent la raison, ils tuent, ils affament, ils exterminent, sans la folie, avec la raison. Le diable aime aussi la société de consommation, et les films qui inspirent la terreur de la mort. Tout cela permet d’ »oublier Dieu », et remplace aujourd’hui la magie. La définition de ce qu’est l’Europe réelle, avec ses « racines chrétienne » et son développement, esquissée en quelques lignes par le curé (page 129) est frappante de vérité. Le curé parle également de « notre oubli de l’histoire » qui est comme « le refoulement de notre mémoire personnelle ». La résurgence de la bataille de 1477 dans un rêve de Sonia est quelque chose comme la libération d’une histoire refoulée et ouvre certaines perspectives : « cette région, avec ses deux langues et sa position de frontière entre le protestantisme et le catholicisme est, du point de vue de la France une porte ou une fenêtre vers l’Europe entière ».

L’ombre rouge de la vieille ville de François Weber. Éditions Salvator, 220 pages, 12 euros.

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