Iran:«Que reste-t-il de la politique orientale de la France, si ce n’est Barbès-Rochechouart ?»

Comme récemment annoncé en ces colonnes, l’accord entre l’Iran et le groupe 5+1 (États-Unis, Chine, Russie, Angleterre et France) a fini par aboutir. Bien sûr, il ne s’agit que d’un texte provisoire, susceptible d’être amendé au fil des mois, si ce n’est des années ; il n’empêche que l’essentiel s’y trouve.
Alors, accord à qui perd gagne ? C’est selon, voire au choix.
Le grand vainqueur est évidemment Barack Obama qui, après la réconciliation historique avec Cuba, vient de solder les comptes avec un autre ennemi « héréditaire » : l’Iran. Il peut donc finir son second mandat en beauté, ayant contribué, contre l’avis des faucons démocrates comme républicains, au possible avènement d’un monde multipolaire. Ce qui signifie qu’à plus ou moins long terme, les États-Unis pourraient perdre leur rôle de « gendarme du monde », ce qui est plutôt une bonne nouvelle pour la planète.
Autre grand vainqueur : l’Iran. Naguère, la personnalité aussi fantasque que rugueuse d’un Mahmoud Ahmadinejad aurait probablement interdit un tel règlement à l’amiable. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : l’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la République islamique d’Iran, s’entend mille fois mieux avec l’actuel président Hassan Rohani que son vibrionnant prédécesseur ; lequel, il est vrai, n’était qu’un populiste laïc. Alors qu’aujourd’hui, entre clercs, il est toujours plus facile de s’entendre et de se comprendre.
Pour Téhéran, le succès est à la fois intérieur et extérieur. Dans la première configuration, levée d’embargo oblige, il retrouve tous ses avoirs financiers gelés à l’étranger et offre aux investisseurs internationaux un juteux marché de plus de 80 millions de consommateurs potentiels. Dans la seconde, l’antique Perse retrouve un rôle de premier plan et plus rien, en Orient, ne pourra se faire sans elle ou son éternelle rivale turque. On notera que ces deux incontournables puissances régionales musulmanes ne sont arabes ni l’une ni l’autre.
En ce sens, les Arabo-Musulmans font figure de véritables perdants, orphelins du grand rêve d’un royaume arabe uni, fantasmé par les Saoudiens, depuis les promesses jamais tenues du Foreign Office, au grand dam d’un Lawrence d’Arabie et ce, au lendemain de la Première Guerre mondiale. Pour tout arranger, si les Turcs sont en train de mettre en bémol leur double jeu vis-à-vis de Daech, les mêmes Saoudiens ne peuvent tenter même tango diplomatique.
Confidence d’un honorable correspondant de l’ambassade d’Iran à Paris : « Les Saoudiens font semblant de faire une sortie aérienne contre Daech. Ils envoient deux avions par semaine pour frapper à côté des cibles. Alors qu’en moins de deux mois, notre aviation en est à plus de trois mille raids aériens… Si Daech continue à proliférer, nous sommes les seuls à pouvoir les contrer au sol. Ils ne sont que 50.000 combattants, dont 15.000 volontaires venus de l’étranger. Alors que l’Iran peut aligner plusieurs centaines de milliers de soldats sur le terrain. Si Daech va trop loin, nous sommes les seuls à pouvoir les éradiquer. » Manœuvre qui pourrait être d’autant plus aisée qu’Istanbul, ayant compris que son tropisme anti-kurde ne le menait nulle part, pourrait aussi aider à la manœuvre.
Après, la Chine et la Russie, traditionnels alliés de l’Iran, qui boivent du petit-lait. Deux immenses nations plus qu’émergentes qui n’ont rien à perdre et tout à gagner dans l’affaire. Deux antiques civilisations dont la géopolitique ne se résume pas qu’aux « droits de l’homme », moulin à prières dont on voit les cruelles limites depuis quelques décennies.
Puis Israël, pas tout à fait à l’aise dans ses chaussettes et dont le jeu trouble dans le conflit embrasant Proche et Moyen-Orient finit par déconcerter les observateurs les plus complaisants. À ce titre, les articles du Wall Street Journal, relayés par le site Internet i24news.tv révélant que l’armée israélienne soignait à domicile les djihadistes syriens d’Al-Qaïda, du front Al-Nosra et de Daech ont sûrement dû faire un peu désordre.
Il n’empêche que Tel Aviv n’a finalement que peu protesté contre l’accord en question : le sempiternel allié américain le voulait ? Donc, fût-ce de mauvaise grâce, Benyamin Netanyahou s’est incliné. Israël, c’est aussi un peu comme cette principauté monégasque dont le général de Gaulle affirmait qu’il suffisait de lui couper l’électricité pour la ramener à la raison.
Et la diplomatie française, dans tout ça ? Comme d’habitude, faute de susciter ou d’organiser les événements, au moins aura-t-elle fait semblant de les accompagner, en Grèce comme en Iran, à la remorque d’Angela Merkel ou dans les bagages de Barack Obama.
Mais comme l’assurait jadis le défunt Michel Jobert : « Que reste-t-il de la politique orientale de la France, si ce n’est Barbès-Rochechouart ? »

Nicolas Gauthier – Boulevard Voltaire

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