♦ Le projet d’un festival « non-mixte » du 28 au 30 juillet 2017 à Paris a donné naissance à une polémique dont de nombreux media se sont fait l’écho. La variété des réactions amène d’abord à s’interroger sur la notion de liberté de réunion.
Mais la quasi unanimité des condamnations appelle un autre questionnement : est-il encore permis dans la société française de fixer des critères discriminants pour la participation à une activité ?
Un pseudo festival par lequel le scandale arrive
Pour la première fois, un « festival » afroféministe militant à l’échelle européenne se tiendra à Paris à la fin du mois de juillet. Cette manifestation est organisée par un collectif qui inscrit son action dans les luttes de libération dites révolutionnaires. Répondant au nom de « mwasi » qui signifie « femme » en lingala, langue bantoue parlée au Congo et en République démocratique du Congo, cette organisation a pour but d’abolir la négrophobie, l’hétéropatriarcat et le capitalisme hégémonique blanc.
Le collectif « Mwasi » est organisé sur le fondement de la non-mixité en genre et en race. Il est ouvert à toutes les femmes (et personnes assignées femmes), cisgenre et transgenre noires, métisses, Africaines et Afrodescendantes. Les notions d’assignation et de genre (cissexuel et transexuel) sont rattachées à la féminité. Les notions de noires ou métisses relèvent d’une conception de groupe éthno-raciale.
La manifestation dont il est question a été désignée sous le nom de « Festival Nyansapo » ou « Nyansapo fest ». Ce mot désigne des symboles visuels ouest-africains ayant une fonction décorative, mais pouvant aussi transmettre la sagesse traditionnelle, des aspects de la vie ou de l’environnement. L’emploi du terme « festival », qui désigne en principe une manifestation à caractère festif liée au spectacle ou aux arts semble décalée avec le programme affiché : luttes queer révolutionnaires, lutte anti-négrophobie, réfugiés et migrants pour une solidarité active, afroféminisme et lutte contre l’islamophobie, le colorisme dans nos communautés…
Ce pseudo festival est donc en réalité une manifestation à caractère politique s’inspirant d’une part de théories marxistes et d’autre part de revendications féministes adaptées à la culture africaine. Compte tenu de l’audience de ces conceptions dans l’opinion française, le rayonnement du festival Nyansapo aurait dû rester faible et même, anecdotique. Mais la décision des organisateurs de réserver 80 % des espaces aux femmes noires, aux personnes noires et aux femmes « racisées »a déclenché des réactions qui montrent combien notre société est conditionnée par le principe de non discrimination.
Qui provoque une tempête dans un verre d’eau
L’annonce de la tenue de la manifestation Nyansapo a entraîné une première réaction du site de la réinfosphère « Fdesouche » qui titrait le 1er juin : « Festival interdit aux blancs. Faut-il interdire le Nyansapo fest ? » Relayée par le Front national en Île-de-France, l’hostilité au principe de non-mixité s’est étendue à Anne Hidalgo, maire PS de Paris, mais aussi à SOS Racisme, à la LICRA, à la Délégation Interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, pour ne citer que les plus connus.
Signe d’un certain automatisme mental, les réactions allaient toutes dans le sens de la condamnation de la non-mixité mais pour des raisons parfois fort différentes. Ainsi, là où les uns dénonçaient un racisme anti-blancs (en oubliant au passage, par exemple, le racisme anti-jaunes, entre autres ?), d’autres (SOS Racisme) intervenaient au nom de leur conception de l’antiracisme comme mouvement post-racial. Revenue de sa première réaction, Anne Hidalgo faisait volte-face en distinguant espace public ouvert à tous et espaces privés pouvant être discriminants.
Les organisatrices répliquèrent que leur choix de la non-mixité était la conséquence de la théorie de l’auto-émancipation et que l’entre-soi favorisait la liberté de parole pour que la « rancoeur » puisse s’exprimer sans risque de faire de la peine aux « bons » blancs. A contre courant des théories selon lesquelles la notion de race n’existe pas pour l’espèce humaine, les organisatrices indiquèrent que la couleur de peau est loin de constituer le seul marqueur de racialisation, et que « ce n’est pas le fait de parler de race qui est raciste mais le fait de les hiérarchiser entre elles ». Le choc culturel entre ces conceptions antagonistes est clairement apparu : liberté de réunion discriminante permettant l’émancipation pour les uns, discrimination intolérable pour les autres.
Et appelle à s’interroger sur certains critères de l’identité
En 2015, la France comptait officiellement 66,81 millions d’habitants. Le 13 juin 2017, moins de 700 personnes s’étaient inscrites pour participer au Nyansapo fest sur la page facebook de l’organisation. C’est dire l’importance extrêmement relative de cet événement, mais aussi la forme de schizophrénie intellectuelle qu’il a déclenchée autour de la notion de discrimination, immédiatement associée au racisme, au point que l’on songe à un réflexe quasi pavlovien.
En 2016, la tenue d’un camp d’été « décolonial » non-mixte à Reims avait provoqué une polémique similaire, certains y ayant vu une forme de racisme en quelque sorte « à l’envers ». Les déclarations d’Anne Hidalgo ont montré que ce point de vue pouvait être nuancé, la discrimination étant jugée inacceptable dans le cadre public mais tolérable dans un cadre privé. Cependant, la notion d’espace public gagnerait à être précisée. Une église, une mosquée ou une synagogue sont-ils des espaces publics ? Une piscine publique est assurément un espace public. Peut-on alors y refuser la mixité ?
Ces questions sont révélatrices du malaise identitaire apparu progressivement depuis le début des années 1970 : immigration dont les conséquences sur la cohésion nationale n’ont pas été mesurées, hétérogénéité religieuse, développement des communautarismes, multiculturalisme apparent dans l’espace public, reconnaissance de la « diversité », discrimination dite « positive ». Autant de problèmes dont il est difficile de débattre sereinement, bien que la Cour Européenne des Droits de l’Homme garantisse la liberté d’expression et d’opinion, quelle qu’elle soit.
La polémique née autour du Nyansapo fest est révélatrice d’une société malade, où les réactions sont comme conditionnées par une pensée unique ayant fait du principe de non discrimination un paradigme presque obsessionnel au mépris d’une réalité que quelques afroféministes cryptomarxistes nous rappellent.
Mais finalement, pourquoi serait-il inconcevable que des Africains souhaitent pouvoir se réunir entre Africains, des Asiatiques entre Asiatiques ou des Européens entre Européens ? Le débat est ouvert.
André Murawski
Conseiller régional Hauts-de-France
Polémia