Par Ivan Blot
Lors de son interview exceptionnelle à Europe 1 et TF1 le 4 juin dernier, Vladimir Poutine a déçu une partie de la presse française car ses propos raisonnables étaient en contradiction avec la caricature qu’on fait de lui certains medias français. Ils voulaient voir un dictateur impérialiste et ont entendu un président démocrate et patriote.
La déconvenue de ces journalistes russophobes montre qu’ils sont des hommes rivés sur le passé. Dans le passé, les Etats-Unis étaient une puissance conservatrice libérale et chrétienne, l’URSS était une dictature communiste athée. Les Etats-Unis étaient les libérateurs de 1944 face à l’occupation allemande. L’URSS, bien qu’ayant été l’ennemie principale d’Hitler, était surtout la puissance d’occupation de l’Europe de l’Est, enfermée derrière le rideau de fer.
Aujourd’hui, tout s’est inversé et c’est difficile de changer ses habitudes de pensée. La Russie est une puissance conservatrice, libérale et chrétienne. Les Etats-Unis exportent de plus en plus au nom des droits de l’homme déformés, une idéologie égalitaire dogmatique qui s’oppose à la famille, à la religion et à la patrie, en tous cas dans tous les pays étrangers. Ils ont introduit ou contribué à introduire le chaos en Irak, en Afghanistan, en Lybie, voir en Syrie, avec des interventions militaires désordonnées, justifiées par des mensonges comme en Irak ou des interprétations frauduleuses de décisions de l’ONU comme en Lybie.
C’est l’inversion des pôles : la Russie est dans le camp de l’ordre et de la paix, les USA dans le camp des révolutions et des coups d’Etat voire des guerres.
Pourtant, des journalistes et des hommes politiques veulent continuer de voir dans la Russie une dictature impérialiste comme l’URSS d’autrefois. Madame Clinton s’est permis des comparaisons entre Poutine et Hitler, ce qui est une ignominie mais aussi une stupidité : à ce compte, c’est comme si l’on accusait madame Merkel d’être une communiste autoritaire sous le prétexte qu’elle a fait partie du dernier gouvernement communiste d’Allemagne de l’Est.
Pour l’Europe, c’est la même chose. L’Union européenne a été créée sur un modèle non démocratique mais bureaucratique, celui des agences fédérales américaines créées par Roosevelt. Aujourd’hui, le monopole de la proposition des lois par la Commission de Bruxelles, le cumul chez celle-ci des tâches législatives et exécutives ne se justifient plus, comme l’a écrit récemment Nicolas Sarkozy mais on n’ose pas remettre en cause les schémas d’autrefois. Mon camarade Fabius, qui a fait sciences po et l’ENA avec moi, vient de dire que la Grande Bretagne deviendra la Petite Bretagne si elle quitte l’Union européenne. On apprenait en effet il y a quarante ans que « plus c’est gros, plus ces efficace » (théorie des économies d’échelle) alors que les économistes actuels savent que les petites entreprises et les petites économies sont souvent plus innovatrices ! Mon autre camarade Alain Juppé déclare récemment sans rire que la Russie ne produit que des matières premières comme l’Arabie Saoudite : il est vrai que les Français ont la réputation d’être nuls en géographie !
En économie, c’est la même chose. Beaucoup de politiciens et fonctionnaires français ont été formés à l’Ecole nationale d’administration qui sur le plan de l’enseignement de l’économie avait trente ans de retard, en restant à Keynes et ignorant les économistes plus modernes comme Hayek. Résultat : on a les impôts les plus décourageants du monde, un interventionnisme brouillon de l’Etat et des réglementations archaïques. Dernier exemple cité dans le Figaro de ce jour : le marché immobilier. La ministre Cécile Duflot qui a été deux ans ministre, une écologiste favorable aux drogues dites « douces » (cannabis) a créé une réglementation détaillée qui bloque les ventes et les achats immobiliers. C’est à un tel point que le gouvernement de monsieur Valls veut revenir sur cette réforme catastrophique. Madame Duflot n’avait toujours pas compris qu’avantager trop les locataires face aux propriétaires finirait par réduire l’offre immobilière au détriment de tout le monde. Elle a repris de vieilles idées dépassées des années 1950.
Notre système de formation des élites en sciences sociales est archaïque et beaucoup d’hommes politiques français vivent encore sur des vieilles idées diplomatiques ou économiques des années 1950. Comme disait notre historien Jules Michelet : « quelle est la première partie de la politique ? L’éducation ; la deuxième partie ? L’éducation ; la troisième partie ? L’éducation. » C’est toujours d’actualité !
Il faudra sans doute attendre un renouvellement de générations pour que les élites politiques françaises se détournent des vieilles lunes. Heureusement, il y a toujours quelques exceptions mais elles sont pour l’instant plus russes que françaises !